Edith Wharton, « The Age of Innocence »

23 juillet 2018

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Référence : Edith Wharton, The Age of Innocence, avec une introduction de Cynthia Griffin Wolff et des notes par Laura Dluzynski Quinn, New York, Penguin classics, 1996. (Première édition : 1920.)

Résumé

Quatrième de couverture de la traduction par Diane de Margerie chez J’ai lu :

«Elle parlait […] sans larmes ni agitation, et chaque mot tombait comme du plomb brûlant dans le cœur du jeune-homme. Il se tenait courbé en avant, la tête dans les mains, les yeux fixés sur la pointe du soulier de satin qui dépassait de la robe scintillante. Tout à coup il s’agenouilla et baisa le soulier.»
Dans le New York flamboyant de la fin du XIXe siècle, Newland Archer est un jeune homme bien éduqué de la haute bourgeoisie. Promis à un avenir brillant, il est sur le point d’annoncer ses fiançailles avec la pure May Welland, quand, à l’Opéra, tous les regards se tournent vers une loge… L’apparition de la belle comtesse Olanska, la scandaleuse cousine de May qui a eu l’audace de quitter son mari et dont l’indépendance, en ce temps-là, est considérée comme impardonnable, va bouleverser sa vie. Comment, dans une société qui broie les êtres et sacrifie les amours, peut-on préserver l’innocence ?

Mon avis

Si vous aimez les romans de Jane Austen, avec leur mélange savant d’étude sociale de la bourgeoisie, de portraits psychologiques d’un petit groupe de personnages, d’esprit plus ou moins caustiques et d’humour, le tout relaté avec une plume à la fois limpide et élégante, alors vous devez découvrir aussi Edith Wharton. Plus récente qu’Austen, Edith Wharton (1862-1937) a vécu à New York à la charnière des XIXe et XXe siècle, au temps de ce que les Américains appellent le « Gilded Age », l’Âge doré qui voit l’essor de la bourgeoisie aux dépens de l’aristocratie newyorkaise et l’ascension des grands entrepreneurs.

Wharton évoque ce milieu qu’elle a bien connu dans The Age of Innocence, qui est paru en 1920, une cinquantaine d’années après l’époque qu’elle décrit (les années 1870). Son personnage principal, Newland Archer, semble être l’incarnation de cette aristocratie newyorkaise. Impeccablement éduqué, observateur, plein d’esprit, le jeune homme reste cependant un peu hors norme : plus enclin aux arts et aux lettres que la moyenne pour son milieu d’origine, il est avide d’amour et de justice. Ses fiançailles vont lui révéler peu à peu ce que l’aristocratie de New York peut avoir d’étouffant, à contre-courant de tous les clichés sur le rêve américain censé tout rendre possible.

Wharton a un très beau style, une belle prose classique pleine d’élégance qui regorge d’observations psychologiques très fines, et qui semble disséquer tout vifs les types sociaux qu’elle met en scène. Si le mot de « belle prose classique » éveille en vous la peur de l’ennui, détrompez-vous : il y a des traits d’esprit à chaque paragraphe, pas seulement de la part des personnages mais aussi de la part de l’auteure, qui fait ressortir les petits ridicules et les grandes vanités de ce milieu où la façon dont on s’habille et les gens avec qui on se montre comptent plus que la sincérité ou l’aspiration à s’accomplir dans une activité quelconque. La « Famille » est le maître mot de tout, mais la fidélité au clan finit par menacer de broyer les individus et de changer la société en un jeu de masques déshumanisés.

Ce roman pourra plaire au public des séries télévisées historiques britanniques comme Maîtres et valets ou Downton Abbey, en dépit des différences de propos entre ces séries et le roman de Wharton. Ces deux séries évoquent l’aristocratie anglaise à une période un peu plus récente (les années 1910-1920) et ont l’originalité de suivre simultanément deux milieux sociaux, celui de l’aristocratie et celui de la domesticité, avec en revanche un regard souvent plus indulgent sur les aristocrates que celui de Wharton. The Age of Innocence ne s’intéresse hélas pas aux domestiques : si vous cherchez des évocations littéraires de la domesticité anglophone, il faudra vous tourner vers des romans comme Les Vestiges du jour (The Remains of the Day) de Kazuo Ishiguro (qui traite grosso modo de la période 1920-1940) ou vers des témoignages comme Below Stairs de Margaret Powell (qui relate la vie d’une femme de chambre au début du XXe siècle). Du côté des peintres, je vous recommande les tableaux académiques de James Tissot, qui représentent avec un grand sens du détail les milieux bourgeois et aisés du Roayume-Uni de la seconde moitié du XIXe siècle.


Agatha Christie, « Murder in Mesopotamia »

9 juillet 2018

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Référence : Agatha Christie, Murder in Mesopotamia, Londres, Harper, 2016 (première publication : Collins, The Crime Club, 1936).

Présentation de l’éditeur

En arrivant sur le chantier de fouilles de Tell Yarimjah, miss Amy Leatheran ouvre de grands yeux. Quoi de plus dépaysant pour une jeune infirmière que ce pays exotique, cette équipe d’archéologues installée loin de tout ? Et quelle mission singulière que d’avoir à veiller sur la belle Mrs Leidner, en proie à des hallucinations et des terreurs diverses… Miss Leatheran va tâcher de s’acquitter au mieux de ses fonctions. Mais, de masques terrifiants paraissant à la fenêtre en menaçantes lettres anonymes, les angoisses de Mrs Leidner vont finir par l’étreindre à son tour. Et lorsque cette dernière sera assassinée, Amy aura le rare privilège d’assister de près à une enquête de l’illustre Hercule Poirot…

Mon avis

Pas particulièrement amateur de romans policiers, j’ai malgré tout vu de nombreuses adaptations de romans d’Agatha Christie à la télévision, en particulier dans la série britannique Hercule Poirot, où le détective est admirablement campé par l’acteur David Suchet. J’avais lu quelques-unes de ses enquêtes quand j’étais au collège, et à force de voir la série, l’envie m’est revenue de lire une de ses enquêtes, cette fois en anglais dans le texte. Intéressé par l’archéologie et l’Antiquité, j’ai opté pour Murder in Mesopotamia (Meurtre en Mésopotamie).

Autant le dire tout de suite : l’archéologie et l’Antiquité ne sont pas du tout au cœur du récit, mais ménagent simplement un décor, documenté de façon crédible tout de même. Le roman est narré du point de vue d’une infirmière, Miss Leatheran, qui ne connaît absolument rien à ces sujets : cela permet, entre autres, de rendre ce domaine accessible à un vaste lectorat. De mon côté, je m’attendais à un peu plus de détails sur la Mésopotamie antique, mais pas à un roman historique, donc ça ne m’a pas trop déçu.

Première originalité du roman : Hercule Poirot n’y entre pas en scène tout de suite. Tout le roman est narré du point de vue de l’infirmière Leatheran, occasion pour Agatha Christie de mettre en scène la voix d’un personnage féminin très intéressant en lui-même. Miss Leatheran est curieuse, pas bête et a des intuitions sur la psychologie des gens qui l’entourent, mais elle a aussi ses naïvetés et ses préjugés (notamment envers les Arabes) et Christie laisse deviner régulièrement les réactions des autres personnages quand Leatheran laisse percer ces deux défauts. Cela donne tout de suite de la profondeur au récit et de l’épaisseur à tous les personnages.

De la psychologie, il en est beaucoup question dans ce roman, car une bonne partie de l’affaire repose là-dessus. Meurtre en Mésopotamie est un huis clos comme Agatha Christie les affectionne (voyez aussi le fameux Crime de l’Orient-Express et sa pièce de théâtre The Mousetrap, en français Trois souris) : un lieu fermé dont on connaît très vite le plan en détail, un groupe de personnages amené à cohabiter plus ou moins bien, et surtout, bien sûr, un meurtre qui a eu lieu quelque part où personne n’a normalement pu aller.
Beaucoup de choses tournent autour de la personnalité de la victime : lady vertueuse ou séductrice insensible et mythomane ? Miss Leatheran, arrivée tout récemment parmi des gens dont la plupart se connaissent depuis plusieurs années, peine à démêler l’écheveau des avis, des rumeurs et des impressions parfois trompeuses.
Poirot, lui, n’arrive qu’après le meurtre et, là encore, le point de vue de Miss Leatheran ajoute une jolie profondeur au récit, via la relation de confiance et de coopération tacite qui se noue entre les deux personnages.

Le roman a un peu vieilli par certains aspects : certaines déductions reposant sur la psychologie font figure aujourd’hui de généralisations abusives ou de purs et simples préjugés (c’est un défaut récurrent dans les romans de Christie). De même, certaines ficelles utilisées pour maintenir le suspense sont un peu grosses, en particulier dans les fins de chapitres au début, mais cela s’améliore ensuite.
Il m’a semblé que le roman mettait un peu de temps à se mettre en place, la contrepartie étant que l’auteure prend le temps de présenter les personnages et d’installer peu à peu une atmosphère oppressante. Par la suite, la machinerie de l’enquête se met en route et je me suis assez bien laissé prendre au jeu des énigmes et des soupçons envers tel ou tel personnage. Le dénouement est à la hauteur de la réputation d’Agatha Christie : je ne l’avais pas du tout vu venir (mais il faut dire que j’ai très peu d’expérience de ce genre de roman).

La qualité des romans de Christie est aussi leur défaut : tout tourne autour de l’enquête et des éléments possiblement utiles à sa résolution, de sorte que l’écriture est par ailleurs très, très dépouillée. Pas question de prendre le temps de décrire le monde et les personnages autrement qu’à travers des fragments d’information susceptibles de nourrir une piste policière. C’est dommage, mais c’est un choix esthétique cohérent de la part de Christie : ses romans sont comme des mécanismes et, en dépit du temps, ils restent bien huilés.

P.S. : J’ai tenté de ne pas imaginer Hercule Poirot avec le visage de David Suchet pendant ma lecture. Je n’ai pas réussi. Cet acteur incarne trop bien le personnage !

J’ai d’abord posté cet avis sur le forum Le Coin des lecteurs le 23 septembre 2017 avant de le modifier pour le reposter ici.