Référence : Héros modestes (ちいさな英雄-カニとタマゴと透明人間-, titre anglais : Modest Heroes : Ponoc Short Films Theatre, Volume 1), film regroupant trois courts-métrages (Kanini & Kanino de Hirosama Yonebayashi, La Vie ne perdra pas de Yoshiyuki Momose et Invisible par Akihiko Yamashita), produit par le studio Ponoc, Japon, 2018, 44 minutes.
Comment ça, Ponoc ?
Il y a deux semaines, en guise d’introduction à ma critique du médiocre film de la Warner Bros. Japan dérivé des jeux vidéo Ni no kuni conçus avec la participation du studio Ghibli, je vous avais un peu parlé des personnes, des studios et des films qui s’essayaient à prendre plus ou moins la succession du studio Ghibli pendant la longue pause de sorties cinéma décidée par le studio en 2014 après Souvenirs de Marnie. L’un de ces studios, fondé par plusieurs anciens membres de Ghibli, est le studio Ponoc. Et leurs productions ne sont pas les moins prometteuses, de loin.
Créé en 2015, quelques mois après la décision de Ghibli de ne plus sortir de longs-métrages pendant quelques années, le studio Ponoc compte encore peu de réalisations à son actif. En France, on le connaît pour le moment par une seule sortie au cinéma : Mary et la fleur de la sorcière, de Hirosama Yonebayashi, qui avait déjà réalisé deux beaux films au studio Ghibli (Arrietty et le petit monde des chapardeurs en 2010 et Souvenirs de Marnie en 2014). Mais en 2018, le studio a sorti au Japon une anthologie de courts-métrages formant un moyen-métrage dont le titre peut se traduire ainsi : Le Théâtre des courts-métrages Ponoc, volume 1 : Héros modestes. Il n’est pas sorti en salles en France à ma connaissance, mais a été mis en ligne sur la plate-forme Netflix en septembre 2019. Il aurait mérité mieux, car ces courts-métrages sont fort intéressants.
Le principe de cette anthologie de courts-métrages s’inscrit en partie dans la lignée de ce qu’avait produit le studio Ghibli. Après tout, Ghibli avait produit deux courts-métrages, les Ghiblies, diffusés au Japon respectivement en 2000 à la télévision et en 2002 avant les projections du Royaume des chats. Le studio Ghibli a produit en outre plusieurs courts-métrages qui n’ont été diffusés jusqu’à présent qu’entre les murs du musée Ghibli à Mitaka, près de Tokyo, comme Mei no Konekobusu (Mei et le Chatonbus) qui prolonge l’histoire de Mon voisin Totoro (rha, mon précieux ! pardon). Mais ces courts-métrages n’ont pas été sortis sous forme d’anthologies au cinéma à ma connaissance.
La démarche du studio Ponoc se démarque donc de celle de son glorieux aîné pour adopter le principe du regroupement de courts-métrages dans un moyen-métrage de cinéma, assez courant en France (beaucoup de films de Michel Ocelot relèvent de ce principe, comme Princes et Princesses ou Les Contes de la nuit ; on peut aussi penser à Peur(s) du noir dirigé par Etienne Robial en 2008). S’il fallait à toute force la comparer à ce qui s’est fait en animation japonaise récente, elle se rapprocherait davantage de projets comme Jours d’hiver dirigé par Kihachirō Kawamoto en 2003. Mais en plus… modeste, puisque, là où Jours d’hiver rassemblait 35 réalisateurs d’animation issus du monde entier, Héros modestes se contente de rassembler les créations de trois membres de Ponoc. Si vous n’êtes pas un ou une fan scrupuleuse du studio Ghibli, les noms de ces trois réalisateurs du studio Ponoc ne vous diront pas grand-chose, mais ce sont bien trois anciens membres de longue date du studio Ghibli dont les créations méritent largement d’être guettées pour elles-mêmes. Je dirai un mot de chacun en commentant son film.
Pour l’anecdotique, les courts-métrages d’Héros modestes sont précédés par de brefs écrans animés montrant une grosse île-machine-volante rappelant vaguement l’esthétique du Château dans le ciel. Cela ne dure que quelques secondes.
Kanini & Kanino, de Hiromasa Yonebayashi
Le premier court-métrages d’Héros modestes est aussi celui dont les graphismes rappellent le plus directement la patte graphique la plus courante du studio Ghibli. Il met cependant à profit sa brève durée pour travailler au maximum les détails des décors, dans un univers qui s’y prête à merveille : la faune et la flore aquatiques d’une rivière. Il revêt en outre une dimension (un peu) plus expérimentale en prenant le parti d’une histoire, non pas exactement sans paroles, mais sans paroles compréhensibles, puisque les personnages principaux parlent une langue inventée qui se réduit à quelques mots, à savoir « kanini » et « kanino » (qui sont peut-être des prénoms, mais ce n’est pas entièrement évident au premier visionnage).
Les héros de ce film sont de petits personnages qui ne semblent pas mesurer plus de quelques centimètres de haut et qui vivent sous l’eau d’une rivière de campagne dans un monde qui pourrait être le nôtre, à une époque indéterminée (il me semble tout de même qu’un détail d’un des derniers plans montre des vêtements humains assez récents). Harnachés plutôt que vêtus, équipés de lances terminées par des pointes de crabes, les membres de ce petit peuple des rivières s’efforcent de survivre et d’élever leurs enfants dans l’environnement rendu périlleux par les poissons qui, à leur échelle, sont bien assez grands pour les gober au petit-déjeuner.
Ma première impression en regardant ce court-métrage a été : « Tiens, on dirait les Chapardeurs d’Arrietty et le petit monde des chapardeurs, mais sous l’eau ». De fait, en préparant ce billet, je n’ai pas été surpris de découvrir que le réalisateur de Kanini & Kanino, Hiromasa Yonebayashi, avait justement réalisé Arrietty en 2010 ! Ce court ressemble donc à une manière d’étoffer indirectement cet univers, ou du moins d’explorer le même genre d’enjeu narratif. Pour mémoire, Yonabayashi a réalisé depuis Souvenirs de Marnie avant de quitter Ghibli pour le stuio Ponoc, au sein duquel il a réalisé Mary et la fleur de la sorcière en 2017. Des films à la patte graphique très semblable et typiquement « ghiblesque », mais aux univers et aux personnages très distincts, qui me rendent curieux de voir ce que seront ses prochaines créations.
Je ne saurais passer au court-métrage suivant sans dire un mot sur la musique de ce court-métrage : logiquement investie d’un rôle plus important par la quasi absence de dialogue, elle fait beaucoup pour l’atmosphère aquatique et épique de l’histoire s’inspirant tantôt des compositions impressionnistes d’un Debussy, tantôt des sifflements de western à la Ennio Morricone. Elle a été composée par Takatsugu Muramatsu, un compositeur aguerri à qui l’on devait entre autres la bande originale de Souvenirs de Marnie pour Ghibli, de Mary et la fleur de la sorcière pour Ponoc, ainsi que de Lou et l’île aux sirènes de Masaaki Yuasa (en 2017).
La vie ne perdra pas, de Yoshiyuki Momose
Yoshiyuki Momose a réalisé depuis le film adapté de Ni no kuni dont je parlais l’autre jour, et je vous renvoie donc à ce précédent billet pour une présentation plus détaillée de sa riche carrière d’animateur au studio Ghibli puis chez Ponoc. La Vie ne perdra pas a pour titre original amusant Samurai eggu : quelque chose comme « l’œuf samouraï », je suppose, puisqu’on en voit brièvement un dans le film. Le titre français a l’avantage de mieux faire comprendre d’emblée l’enjeu de l’intrigue, et de ne pas méprendre sur son genre : contrairement au précédent film, ce court-métrage s’ancre dans un ferme réalisme et adopte le ton d’un « récit de vie ». Les graphismes, plus épurés et aquarellés que ceux du film précédent, rappellent un peu ceux de Mes voisins les Yamada ou du Conte de la princesse Kaguya.
Le personnage principal de ce court-métrage, Shun, est un petit garçon extrêmement allergique aux œufs. Le moindre contact avec des traces d’œufs, dans les aliments ou même dans la salive de quelqu’un, suffit à déclencher chez lui une réaction allergique potentiellement mortelle si on ne lui injecte pas un antiallergique en quelques minutes. Le film relate le quotidien du garçon bouleversé par les multiples précautions que sa mère et lui doivent observer : aliments spéciaux à la maison et à l’école, prudence dans les contacts avec les autres enfants, etc. La mère de Shun, quant à elle, est professeure de danse, mais, comme tous les parents, elle doit parfois quitter son travail en toute hâte pour rejoindre son fils quand celui-ci a un problème de santé. On suit en particulier le destin de Shun, la manière dont celui-ci se représente son allergie, et l’effort qu’il fait pour se débrouiller dans les moments où sa mère n’est pas là.
Des trois courts-métrages, c’est celui qui m’a paru le plus abouti. Son scénario met en lumière un héroïsme du quotidien déployé par les parents et les enfants et qui n’est jamais mis à l’honneur d’habitude en dehors de quelques reportages ou documentaires. Il est ici mis en lumière par une fiction sensible sans être démonstrative, grâce au regard tour à tour apeuré, épique ou comique porté par l’enfant sur ses propres problèmes, qui ménage de nombreux rebondissements émotionnels tout en donnant à réfléchir. Les graphismes et la musique discrète sont en parfaite adéquation avec le propos. C’est un court-métrage qui aurait toute sa place dans un festival d’animation international.
Invisible, d’Akihiko Yamashita
Le dernier court-métrage n’est pas le moins expérimental des trois. Si ses graphismes, plus typiquement « ghiblesques » avec un parti pris à peine plus détaillé que la moyenne, ne s’écartent pas beaucoup de la ligne graphique principale de Ghibli et de Ponoc, Invisible opte lui aussi pour une histoire sans paroles (ou presque) : nous sommes plongés dans une situation étrange dont nous devrons comprendre les clés de notre mieux au fil de la courte intrigue. Exit les contes et le réalisme : nous restons en plein Japon contemporain, certes, mais cette fois sous l’angle du fantastique.
Un homme entreprend une journée de travail ordinaire mais nous le découvrons peu à peu doté de capacités hors normes qui, loin de faire de lui un super-héros ou un sorcier, l’abaissent au-dessous du commun des mortels en l’entraînant dans des difficultés sans fin pour, par exemple, ne pas laisser tomber un objet ou ne pas finir emporté par le vent. Que lui arrive-t-il au juste et pourquoi ? Mystère. J’ai pensé à Kafka et à sa Métamorphose ou aux nouvelles fantastiques européennes des XXe-XXIe siècles comme celles du recueil Le Passe-murailles de Marcel Aymé ou Le K de Dino Buzzati. Il faut apprécier cette approche du surnaturel inquiétant qui met l’accent sur la faiblesse de la condition humaine. Selon votre capacité d’empathie, ce sera plus ou moins pathétique ou au contraire amusant.
J’ai beaucoup apprécié ce choix du traitement du surnaturel, qui m’a paru assez original en animation japonaise (mais je suis loin de tout connaître) et qui constitue une variation bien distincte sur le thème d’ensemble de l’anthologie, tout en s’y intégrant parfaitement. Le principe du personnage et de ses mésaventures est très bien trouvé. J’avoue avoir été moins convaincu par l’intrigue proprement dite à partir du moment où elle essaie de dépasser l’exposé de l’étrange situation du personnage pour le montrer accomplissant un acte héroïque au sens beaucoup plus classique du terme.
Akihiko Yamashita est le moins connu des trois réalisateurs de Héros modestes. Il a mené une belle carrière au sein du studio Ghibli en tant que character designer (concepteur graphique des personnages) de films comme Le Château ambulant, Les Contes de Terremer et Arrietty et le petit monde des chapardeurs, puis, chez Ponoc, de Mary et la fleur de la sorcière. Invisible est son premier film en tant que réalisateur.