Ceci est une présentation d’un grand classique. Si vous n’y connaissez rien, restez, c’est fait pour !
L’histoire :
Un mot de contexte en cas de besoin…
Ça ne fait pas de mal de rappeler un peu le contexte de la guerre de Troie. Hélène, épouse de Ménélas, roi de Sparte (dans le Péloponnèse), a été enlevée par Pâris, prince de Troie, une puissante ville d’Asie Mineure (l’actuelle Turquie).
Or Hélène est la plus belle femme du monde, et, au moment de ses noces, son père, Tyndare, soucieux d’éviter les problèmes, avait persuadé tous ses anciens prétendants – parmi lesquels se trouvaient la plupart des rois des principales cités grecques – à s’engager par serment à venir en aide à l’époux si Hélène était enlevée ou réclamée par quelqu’un d’autre.
Au moment de l’enlèvement d’Hélène, Ménélas envoie des émissaires partout en Grèce pour rappeler leur serment aux rois. De tous les coins de la Grèce, les cités envoient des contingents de troupes, commandés par les rois et les héros les plus prestigieux. Agamemnon, frère de Ménélas et roi de Mycènes, prend la tête de l’expédition. Après toutes sortes de péripéties bien trop longues pour que je les détaille, les troupes (qu’Homère appelle les Achéens, ou les Danaens, ou les Argiens : en gros, des gens de Grèce centrale) arrivent devant Troie et assiègent la ville.
Mais en face, la famille royale de Troade, le roi Priam et la reine Hécube, alignent aussi nombre de héros puissants, parmi lesquels les nombreux princes de Troie fils de Priam. Le plus valeureux d’entre eux est Hector, époux d’Andromaque.
Tous ces éléments sont rappelés petit à petit dans l’Iliade, mais ça peut être plus confortable de les connaître déjà en gros.
Et on en vient à l’Iliade elle-même :
La première chose à savoir sur l’Iliade, c’est que cette épopée ne raconte pas toute la guerre de Troie (qui dure dix ans, ce serait un peu long) mais seulement en gros un mois de la guerre. De plus, l’épisode célébrissime du cheval de Troie n’y est pas raconté, puisqu’à la fin de l’Iliade Troie n’est pas encore prise. Pour lire cet épisode, il faut plutôt aller lire l’Odyssée, où la prise de Troie est rapidement évoquée « en flashback » par un aède, ou bien carrément d’autres épopées (voyez plus loin).
Mais alors, pourquoi lire l’Iliade, dans ce cas ? Parce qu’elle raconte un épisode-clé de la guerre de Troie : l’affrontement entre les deux meilleurs héros de chaque armée, Achille et Hector. Une fois cet affrontement passé, l’issue de la guerre ne fait plus de doutes.
Quand commence l’Iliade, donc, le siège traîne en longueur depuis dix ans et Troie n’est toujours pas prise… c’est alors qu’éclate une querelle intestine au sein de l’armée achéenne, qui pourrait bien décider de l’issue de la guerre.
Achille, fils du mortel Pélée et de la nymphe Thétis, est le plus puissant héros parmi les Achéens. Mais il est de caractère irascible, et, pour le malheur de tous, ne s’entend pas du tout avec le roi Agamemnon. Une querelle de partage de butin éclate entre les deux hommes, et Achille, en colère, se met en grève : il se retire sous sa tente et refuse de combattre.
Du haut de l’Olympe, les dieux contemplent la guerre et décident de donner raison à Achille. Tant qu’il ne combattra pas, le sort de la bataille sera favorable aux Troyens. Or, contrairement aux Troyens retranchés àl’abri dans leur ville, les Achéens n’ont qu’assez peu de protections : de simples campements le long du rivage, protégeant l’accès aux navires de la flotte qui les a amenés jusqu’à Troie et qui est pour beaucoup leur seul moyen de rentrer chez eux. Si les Troyens prennent l’avantage, ils pourraient bien atteindre les navires et les incendier, puis massacrer les troupes achéennes…
Pour que les Achéens reprennent l’avantage, il faudra donc qu’Achille reprenne les armes. Dans quelles conditions il le fera, c’est ce que l’Iliade détaille.
Toute l’Iliade est centrée sur Achille, de même que l’Odyssée est centrée sur Ulysse. Mais les deux héros sont très différents. Achille est le héros guerrier par excellence : attaché aux prouesses et à la recherche de la gloire, sûr de sa valeur et de ses droits, courageux mais emporté. Il a d’énormes qualités et de graves défauts. Sa colère lui coûte la vie de son compagnon le plus cher, Patrocle, qui tente de combattre à sa place. Achille revient alors au combat pour venger Patrocle, et affronte enfin son plus grand ennemi, Hector.
Le premier tome de l’Iliade dans la Collection des universités de France (les « Budé »), la principale collection publiant des éditions scientifiques de textes antiques grecs et latins (et byzantins, et chinois… mais c’est une autre histoire).
Mon avis :
L’Iliade est l’archétype de l’épopée guerrière. C’est une succession de combats, de trêves, de conseils de guerre. Elle est pleine de la mentalité grecque archaïque, avec sa conception de la gloire. Mais elle reste profondément humaine, au sens où la gravité de la mort et la douleur du deuil ne sont jamais occultés au profit d’une exaltation naïve de la guerre. Achille, malgré sa grande puissance, est un homme mortel comme tous les autres. Il en est conscient, mais la mort de Patrocle le transforme profondément. Il y a des scènes bouleversantes. Et autour d’Achille, c’est tout l’univers de la guerre de Troie qui se déploie : chaque héros a son caractère et sa façon de parler, il y a les forts, les habiles en paroles, les sages, les lâches…
Dans l’Iliade, le merveilleux est beaucoup moins présent que dans l’Odyssée : il repose surtout sur les apparitions des dieux (et donne lieu vers la fin à une scène de combat superbe avec Achille). J’ai tendance à préférer les épopées moins « low fantasy », celles où on a droit à des créatures surnaturelles, à de la magie, etc. Cela dit, il y en a ici aussi, mais plus discrètes, et ça fonctionne bien aussi.
J’avoue une légère préférence pour l’Odyssée, parce qu’il est plus facile de se sentir proche d’Ulysse que d’Achille, et aussi parce que la morale et les valeurs sociales de l’Iliade ont moins bien vieilli que celles de l’Odyssée (l’absence de personnages féminins très actifs, le côté très macho de Zeus, etc.).
L’Odyssée a aussi l’avantage de montrer un univers plus varié, allant des pays lointains à l’univers domestique du porcher Eumée et du palais d’Ulysse, etc. alors que l’Iliade se déroule entièrement à Troie et sur le champ de bataille à côté, et montre un univers essentiellement martial.
Mais les deux épopées ne racontent absolument pas la même chose, et chacune est impeccablement construite. De ce point de vue l’Iliade, comme l’Odyssée, a toujours des leçons à donner aux auteurs de romans : tout est impeccablement structuré et rythmé. La littérature européenne est en bonne partie sortie de là, et ça se voit !
La récente traduction par Philippe Brunet, parue au Seuil en 2011.
Quelle édition, quelle traduction ?
Il vaut mieux lire l’Iliade dans une édition avec introduction et notes, histoire d’avoir les explications nécessaires pour bien comprendre les noms des personnages, les généalogies, les allusions aux peuples, etc. Inutile de s’obliger à lire tout : l’essentiel est de pouvoir vous y reporter en cas de besoin.
Il existe plusieurs traductions de bonne facture. Un mot sur quelques-unes :
– Celle de Paul Mazon, faite pour l’édition scientifique de l’Iliade aux Belles Lettres, est une traduction en prose classique, carrée, solide, et elle est reprise dans des éditions de poche.
– L’une des dernières traductions en date est celle de Philippe Brunet, parue au Seuil l’an dernier. Elle est en vers libres, sans rimes, qui travaillent sur le rythme de la langue pour tenter de trouver un équivalent au rythme des vers grecs antiques (l’Iliade est composée en hexamètres). D’après les bouts que j’en ai lus, elle n’est pas parfaite, mais elle a l’air pas mal.
– Attention à la traduction de Leconte de Lisle, qui date du XIXe siècle et est parfois utilisée par des éditeurs par facilité parce qu’elle est désormais libre de droits : elle est assez peu accessible, transcrit tels quels les noms propres grecs et certains noms communs (au lieu de « Achille et les Achéens aux belles jambières », on » Akhilleus et les Akhéens aux belles cnémides » : si vous comprenez et que vous aimez bien, allez-y, sinon commencez par une traduction plus limpide…).
Pour les plus jeunes…
Pour faire découvrir en douceur ce classique aux enfants, il y a aussi des éditions abrégées ou bien des réécritures illustrées parues dans des collections jeunesse. Je trouve par exemple les Contes et récits tirés de l’Iliade et de l’Odyssée de G. Chandon en Pocket junior, ou bien L’Iliade et L’Odyssée par Jean Martin dans la collection « Contes et légendes » de Nathan. Et il y en a encore d’autres.
Si vous avez aimé, vous pouvez aller voir aussi…
– L’Odyssée, tout bêtement : c’est la suite ! Une aventure radicalement différente, mais on y retrouve de nombreux héros de l’Iliade, et l’on découvre leurs destins mouvementés, parfois tragiques.
– L’Énéide de Virgile est une épopée romaine qui fait la transition entre l’univers de la guerre de Troie et les origines de Rome. Énée, prince de Troie, quitte sa ville avec quelques survivants et part en quête d’un pays où fonder une nouvelle Troie : ce sera l’Italie, mais, après un voyage périlleux, il va devoir affronter les peuples locaux et le courroux de Junon avant de pouvoir s’y installer.
L’épopée contient un flashback qui raconte la ruse du cheval de Troie et la prise de la ville du point de vue d’Énée : c’est magnifique, saisissant, et le reste est largement à la hauteur. La fin, notamment, contient des combats qui n’ont pas grand-chose à envier à Homère.
– Moins connu : la Suite d’Homère de Quintus de Smyrne, une épopée qui raconte… la suite de l’Iliade, jusqu’à la prise de Troie, et aussi les retours chez eux des héros Achéens, et se termine avec le départ d’Ulysse. Le texte assure donc une transition entre l’Iliade et l’Odyssée. C’est complètement le même genre d’univers et d’ambiance que l’Iliade. En français, le texte se trouve sur Internet sans problème, dans des traductions anciennes, par exemple sur Remacle.org. En édition papier, ça n’existe à ma connaissance qu’en Budé, aux Belles Lettres, donc plutôt à lire ou emprunter en bibliothèque, car ce sont des volumes assez chers (même si très bien faits).
– Nettement plus récent et dans un genre différent, David Gemmell a écrit une trilogie « Troie », laissée inachevée à sa mort et terminée par sa femme Stella. Pas encore lu.
– Et en science-fiction, il y a aussi Ilium et Olympos, de Dan Simmons, improbable mélange brassant Homère, Proust, Shakespeare, et je dois en oublier. Pas encore lu.
« Moi j’ai vu Troie, le film avec Brad Pitt en Achille, et j’ai bien aimé. Quel est le rapport avec l’Iliade ? C’est fidèle ? »
Troie, le film hollywoodien de Wolfgang Petersen sorti en 2004 avec Brad Pitt dans le rôle d’Achille et Eric Bana en Hector, est une porte d’entrée possible vers l’Iliade, mais c’est avant tout un film hollywoodien qui s’inspire très librement de son sujet de départ :
– D’abord, le film n’est pas une adaptation directe de l’Iliade : il raconte toute la guerre de Troie, c’est-à-dire l’ensemble du sujet couvert par l’ancien cycle d’épopées dit « Cycle troyen », en sabrant naturellement plein de détails parce qu’il y a une quantité de héros et de péripéties énorme. Mais le milieu du film reprend l’intrigue de l’Iliade, ce qui explique qu’Achille et Hector, et les héros de l’Iliade en général, y tiennent des rôles importants.
– LA grosse différence : dans Troie, on ne voit pas les dieux ! Le film prend le parti de réaliser une sorte d’adaptation historiquement vraisemblable des événements de la guerre. Mais doit quand même garder des éléments très mythologiques et pas très vraisemblables, comme le cheval de Troie. D’où un résultat un peu contradictoire par moments… Personnellement je trouve qu’on y perd : la guerre de Troie sans les dieux qui surveillent les héros et bondissent de l’Olympe pour les aider ou leur mettre des bâtons dans les roues, ce n’est plus vraiment la guerre de Troie…
– Il y a plusieurs énormes écarts avec les événements de la « vraie » guerre de Troie. Certains héros meurent dans le film de façons complètement différentes, ou survivent, ou ne sont pas là du tout, etc.
– Beaucoup de combats dans le film n’ont pas grand-chose à voir avec la façon dont les héros de l’Iliade se battent.
Cela dit, considéré comme une oeuvre originale, ça se laisse regarder, et ça ne manque pas d’un certain souffle épique, même si c’est nettement différent des épopées homériques. Ce qui est bien rendu dans le film par rapport à l’Iliade, c’est la soif de gloire d’Achille et sa volonté de marquer les mémoires après sa mort, et l’opposition entre les caractères d’Achille et d’Hector.
Bref, ça peut être un bon moyen d’entrer dans l’univers de la guerre de Troie… mais ça n’est pas très fidèle à l’Iliade et à l’Odyssée : mieux vaut lire les livres pour vous en faire une meilleure idée.