Référence : Odile Weulersse, Les Pilleurs de sarcophages, illustré par Paul et Gaëtan Brizzi, Paris, Librairie générale française (Livre de poche), 1984. Lu dans une réimpression d’avril 1995.
Quatrième de couverture de l’éditeur
« Quoi de plus fascinant que l’Égypte des pharaons, surtout quand un héros de quinze ans vous y entraîne en pleine aventure.
Tétiki ne doute de rien : pour sauver son pays occupé par les ennemis, il veut découvrir avant eux la sépulture secrète de Taa et mettre le trésor à l’abri.
Avec un nain danseur et un singe presque humain, il défie les espions, le désert, la mort. »
Mon avis
Une aventure prenante
Philosophe et chercheuse sur le cinéma par sa formation, Odile Weulersse a une désormais longue carrière d’écrivaine pour la jeunesse derrière elle, puisque Les Pilleurs de sarcophages, son premier roman, remonte à 1984 et que son dernier roman en date est à ma connaissance La poudre d’amour de Louis XIV, paru en 2013. Ses livres, considérés comme des classiques du genre, figurent souvent parmi les lectures obligatoires ou suggérées pour les collégiens en France. Celui-ci m’avait été donné à lire en 6e, ce qui ne rajeunira personne. Une éternité(et quelques autres lectures sur l’Égypte ancienne) après, j’ai eu envie de le relire pour voir comment je l’appréciais une fois adulte.
Il s’avère que Les Pilleurs de sarcophages reste tout aussi bien écrit et captivant après toutes ces années. Il présente l’avantage de combiner un rythme bien maîtrisé, soutenu mais pas frénétique, avec une intrigue redoutablement bien ficelée et riche en suspense, qui réserve de rudes épreuves aux deux héros, Tétiki le jeune premier courageux et Penou le nain danseur. Bien que le livre suive généralement ces deux personnages, il s’autorise parfois quelques écarts du côté de leurs adversaires, ce qui est l’occasion de montrer les machinations retorses à l’œuvre et renforce notre inquiétude sur le sort des deux héros. D’autant plus que ces derniers sont tous les deux adolescents (avec l’énergie mais aussi l’impulsivité et l’imprudence que cela implique) et ont affaire à des adultes expérimentés. Certaines scènes de la fin ont quelque chose de très cinématographique et ne dépareraient pas dans un film à frissons. Décrits différemment, certains passages pourraient être terrifiants, mais Weulersse ne s’y complaît pas outre mesure et parvient ainsi à doser l’émotion de manière appropriée pour que le résultat reste accessible à un jeune lectorat.
L’humour garde une place limitée, mais n’est pas absent. Il est souvent introduit par le biais du personnage de Penou (qui emploie régulièrement des comparaisons très pittoresques, telle « tu me fais griller comme un pigeon », quand il est impatient) ou du singe Didiphor, qui accompagne le duo. En entamant ma lecture, je craignis que Penou ne soit enfermé dans ce rôle de personnage secondaire comique. J’ai découvert avec plaisir que, tout comme Tétiki, Penou change au fil de l’intrigue, affronte ses peurs et joue un rôle décisif dans l’intrigue.
Une documentation fouillée mais qui a logiquement vieilli
La part de vulgarisation historique est bien amenée, tantôt par l’intermédiaire de descriptions prises en charge par la narratrice, tantôt via des dialogues entre les personnages qui se questionnent et s’informent mutuellement. Au fil des chapitres, on comprend nombre de détails sur la vie quotidienne (la chasse et la pêche, les repas, les voyages), mais aussi sur la politique (le pharaon et ses serviteurs) et la religion, sans oublier, bien sûr, les momies et les tombeaux qui sont au cœur de l’histoire. Ces explications m’ont paru bien insérées dans le fil du récit et bien exploitées pour servir l’intrigue. Par exemple, Tétiki interroge régulièrement son ka (sa part spirituelle, grosso modo) quand il a besoin de méditer ou de prendre une décision importante. Il reçoit toujours un signe qui l’aide à aller de l’avant, mais ni les dieux ni rien de surnaturel n’est montré de manière explicite : tout reste cantonné dans le domaine du fantastique discret, et l’on peut tout à fait comprendre que c’est Tétiki qui interprète les événements en fonction de ses croyances préalables. Cela me semble un portrait fin et nuancé de la religion égyptienne antique.
Depuis la parution du roman en 1984, l’égyptologie a avancé et la manière dont Weulersse conçoit la période à laquelle elle situe son intrigue a un peu vieilli. L’histoire se déroule au XVIe siècle avant J.-C., vers la fin de la Deuxième Période Intermédiaire, sous le règne des rois dits hyksôs. Les sources égyptiennes du début du Nouvel Empire, à peine postérieures à cette période, décrivent le règne des Hyksôs comme une occupation militaire contrainte et la guerre qui aboutit à leur départ comme une libération accomplie par les princes de Thèbes (Ouaset de son nom égyptien) dans le but de chasser l’oppresseur et de réunifier l’Égypte. L’écrivain grec Manéthon, qui écrit treize siècles après les événements (et ne dispose pas des moyens actuels de la science historique, archéologie etc.), présente l’arrivée des Hyksôs comme une conquête militaire brutale, menée à bien par de parfaits étrangers. Les Pilleurs de sarcophages s’appuie de toute évidence sur cette vision des choses : les Hyksôs sont des oppresseurs et, pour un lecteur français, cette période d’occupation militaire et de résistance secrète peut difficilement ne pas évoquer la résistance pendant l’Occupation, durant la Seconde guerre mondiale.
Or, en quarante ans, les égyptologues ont découvert des raisons de nuancer fortement cette historiographie officielle écrite après coup par les princes de Thèbes vainqueurs, ainsi que les dires de Manéthon. J’ai pu consulter à ce sujet le manuel L’Égypte ancienne de Jean-Louis Podvin (Ellipses, 2009) et le Dictionnaire de l’Antiquité dirigé par Jean Leclant aux Presses universitaires de France en 2005. La période reste mal connue, mais plusieurs éléments contredisent la version présentée par les sources égyptiennes et l’écrivain grec. Les fouilles archéologiques concernant la période hyksôs montrent ainsi que ces derniers ne disposaient probablement pas de troupes assez nombreuses et assez bien organisées pour vaincre l’armée égyptienne de l’époque dans une guerre ouverte, quand bien même ils disposaient d’innovations précieuses, nouvelles pour les Égyptiens de l’époque, comme le cheval, le char de guerre ou l’arc composite. Deuxième élément : il n’y a que peu de traces d’une conquête brutale et destructrice, pas plus que d’une oppression qui aurait visé à imposer une culture étrangère en Égypte. Tout au contraire, les Hyksôs semblent s’être en partie assimilés en Égypte, puisqu’ils ont adopté plusieurs aspects de la culture égyptienne, dont l’écriture, les codes artistiques et même les règles de titulature des pharaons qu’ils ont utilisées pour nommer leurs propres rois. Enfin, les pharaons de Thèbes à l’origine de la guerre contre les Hyksôs ne sont pas que de bienveillants libérateurs : ils ont beau jeu d’accuser les Hyksôs d’avoir voulu imposer une culture étrangère en Égypte, mais eux-mêmes semblent avoir été beaucoup plus loin dans la volonté d’effacer toute trace des Hyksôs, avec une mutilation systématique des statues et la destruction d’Avaris, la capitale fondée par les rois hyksôs. La notion même d’Hyksôs semble en partie le résultat d’une vision belliqueuse de la situation, ces « rois des pays étrangers » (c’est ce que signifie l’expression héqa khasout, devenue « Hyksôs » dans le texte grec de Manéthon) n’ayant pas été si étrangers que cela, puisque arrivés progressivement dans le pays et largement assimilés à la culture égyptienne.
Tout cela n’empêche pas de profiter d’un roman d’aventure palpitant, du moment qu’on prend le temps de le replacer dans son contexte, c’est-à-dire un roman documenté dans les années 1980, il y a quarante ans. N’ayant pas encore lu les suites, j’ignore si elles bénéficient d’une documentation plus à jour, puisqu’elles sont nettement plus récentes.
Je regrette en outre que le roman ne semble jamais avoir bénéficié d’une édition incluant un dossier pédagogique, alors qu’il était évident que cela présentait un intérêt. Peut-être l’éditeur souhaitait-il orienter les livres vers l’usage d’une lecture pour le plaisir, plutôt que d’en faire un outil trop scolaire ? Dommage, cependant, car le jeune lectorat serait resté libre de lire ou non le dossier selon sa motivation.
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Le roman a connu deux suites : Le Secret du papyrus en 1998, puis Disparition sur le Nil en 2006. Je ne les ai pas encore lues, mais ce n’est pas à exclure au vu de l’habileté du premier opus. EDIT en novembre 2021 : voilà, je les ai lues ! Je vous parle du Secret du papyrus dans ce billet. Les trois romans ont fait l’objet d’une intégrale, L’Espion du pharaon. La trilogie égyptienne, en 2006. Parmi les romans de Weulersse que j’ai lus, je peux également recommander Le Messager d’Athènes (paru en 1985), lui aussi très documenté et bien tourné dans son intrigue, située en Grèce antique au Ve siècle avant J.-C. Notez qu’Odile Weulersse est plusieurs fois revenue en Égypte sans Tétiki ni Penou, pour des romans comme La Momie bavarde en 1999 (qui se déroule en Égypte actuelle, mais met en scène une momie antique) et Les Enfants du dieu soleil en 2009 (qui relate un épisode de la mythologie égyptienne).
La bande dessinée a produit plusieurs séries ou albums autonomes consacrés à l’Égypte ancienne. L’une des plus connues est Papyrus, créée en 1974 par Lucien De Gieter, et dont j’ai lu deux ou trois tomes. Par rapport aux romans de Weulersse, Papyrus intègre une part de merveilleux et se situe plus franchement du côté de la fantasy historique (ou de la fantasy mythologique, au vu des nombreuses interventions de divinités et de créatures issues des mythes égyptiens).
Du côté des jeux de société, signalons un jeu de rôle sur table historique assez bien fait : Kémi, aventures en Égypte ancienne, de Cédric Chaillol. Publié par l’éditeur Sethmes en 2019, il est gratuit dans sa version numérique et payant pour sa version papier (commercialisée sur Lulu, un site d’impression à la demande). Le jeu propose de jouer au Nouvel Empire, sous le règne du pharaon Touthmès III, à peu près un siècle après la période choisie par Weulersse pour Les Pilleurs de sarcophages. Le jeu se compose de deux parties : une encyclopédie présentant l’Égypte ancienne de manière dense mais claire (histoire, géographie, société, religion, vie quotidienne…) et des règles de jeu très simples et très clairement présentées, suivies d’un scénario et de personnages prêts à jouer. La démarche est à saluer pour son didactisme, sa réalisation plus que correcte (le manuel, au format A5, n’est pas intimidant, facile à transporter et agréable à lire en dépit de son intérieur en noir et blanc, qui a l’avantage de le rendre bon marché) et la passion qui a visiblement animé l’ensemble. Curieusement, il existe très peu de jeux de rôle sur table français inspirés de l’Égypte ancienne alors que la France est le pays de l’expédition d’Égypte et de Champollion. Le précédent jeu sorti sur ce thème sous nos latitudes était Légendes de la vallée des rois publié par Jeux Descartes en 1988… Il était temps d’en proposer un autre ! Notons que, dans la collection où il devait paraître au départ, Kémi, aventures en Égypte ancienne allait de pair avec un roman historique du même auteur, Sennefer, les larmes de Kémi, disponible via le site de l’éditeur ; j’ignore ce qu’il vaut, ne l’ayant pas encore lu.