D. T. Niane, « Soundjata ou l’épopée mandingue »

8 janvier 2013

Niane-Soundjata-ou-l-epopee-mandingue

Ce billet est une présentation d’un grand classique. Si vous n’y connaissez rien, restez, c’est conçu pour !

Référence : D. T. Niane, Soundiata ou l’épopée mandingue, Paris et Dakar, Présence africaine, 1960, 160 pages. ISBN : 2-7087-0078-2.

Redites-moi comment vous êtes tombé sur ce livre ?

En regardant le dessin animé Kirikou et les Hommes et les Femmes de Michel Ocelot. Dans l’une des histoires qui composent ce dessin animé, une griotte (une femme griot : ce féminin est employé aussi bien par Ocelot que par Niane dans son livre) arrive dans le village de Kirikou et commence à raconter l’histoire d’un grand héros, Soundiata Keita. Mais son récit est interrompu et repris plusieurs fois, tantôt par la griotte et tantôt par Kirikou, ce qui fait qu’en fin de compte, on entend seulement le tout début et la toute fin (et encore, on sait que la toute fin a été modifiée par Kirikou). Or au début du récit, Soundiata est mal en point : c’est un enfant en retard, qui ne parle pas et se traîne encore sur le sol à l’âge où tous les autres enfants parlent et marchent déjà. On voit mal comment il va pouvoir devenir un grand guerrier ! Du coup, j’ai eu envie de trouver un livre racontant l’histoire complète, ou au moins ses grandes lignes. De retour chez moi, en parfait homme moderne du XXIe siècle, j’ai dégainé Wikipédia, et, après une petite recherche, je suis tombé sur la référence de ce livre.

Les cultures africaines, je n’y connais pas grand-chose… Est-ce que ce livre-là est compréhensible pour un non spécialiste ?

Par chance pour moi, oui, car je n’y connaissais pas grand-chose non plus. J’avais entendu parler de l’empire mandingue, un empire africain médiéval, mais ce n’était qu’un nom, et je ne connaissais pas du tout l’épopée de Soundiata. Ce livre a l’avantage d’être petit (format poche), court (160 pages), pas cher (je l’ai trouvé à 6,20 euros) et facile à lire par petites tranches (l’histoire est répartie en courts chapitres), toutes qualités qui ne suffisent certes pas à faire un bon livre, mais peuvent aider les lecteurs à petit budget et/ou qui ont peu de temps à consacrer à la lecture. De plus, même si son contenu est fiable, ce n’est pas une étude savante, avec tout ce que cela pourrait avoir de technique : c’est avant tout le texte d’une variante de l’épopée racontée de vive voix par un griot africain, Mamadou Kouyaté, et que Djibril Tamsir Niane, qui est historien, a recueillie et mise par écrit lorsqu’il a rencontré ce griot à Siguiri, en Guinée. Il y a tout de même régulièrement des notes de bas de page qui offrent pas mal d’informations utiles pour comprendre les noms propres, les allusions à la géographie et au contexte culturel et historique de l’épopée.

La seule difficulté que je puisse voir, ce sont les noms propres et la généalogie qui figurent dans les premiers chapitres, et qui peuvent paraître compliqués au premier abord. Mais il y a les notes, et il n’est pas nécessaire de tout retenir pour bien comprendre l’histoire ensuite : on peut se laisser guider par le récit et retenir seulement les personnages récurrents au fil des chapitres. En somme, il m’a semblé que c’était un bon moyen de découvrir l’épopée de Soundiata, quitte à passer ensuite à des ouvrages plus touffus si on éprouve l’envie d’aller plus loin.

Eh bien, allons-y, alors. Où et quand se passe cette épopée, et qui est ce Soundiata ?

Nous sommes en Afrique de l’Ouest, au XIIIe siècle ap. J.-C. La région se partage en petits royaumes et en empires. L’un de ces royaumes est le Manding, qui a alors pour capitale Niani et n’est lui-même qu’une province de l’empire du Ghana. Le roi du Manding, Maghan Kon Fatta, qui règne principalement sur la tribu des malinkés, est présenté dans l’épopée comme le descendant d’une longue dynastie royale qui a souci de se rattacher notamment au prophète Mohammed (l’influence de l’islam gagne cette région à partir de quelque chose comme le XIe siècle, si j’ai bien compris, mais elle ne coïncide pas avec une conquête politique et coexiste avec l’animisme, la religion principale de cette partie du monde). L’épopée commence vraiment lorsque Maghan Kon Fatta rencontre puis épouse Sogolon Kedjou, dite la Femme-buffle : de leur union, recommandée par une prophétie, naîtra Soundiata.

Au début, le mariage de Maghan Kon Fatta et de Sogolon ne fait pas vraiment l’unanimité au sein de la famille royale : comme toutes les familles royales, celle-ci est divisée par de nombreuses tensions et luttes pour le pouvoir. Sogolon est la deuxième épouse du roi, et la première, Sassouma, voit d’un très mauvais œil l’arrivée de cette rivale susceptible de donner naissance à un héritier qui enlèverait à ses propres enfants toute chance d’accéder au trône. Sassouma fait donc tout pour rendre la vie impossible à Sogolon, chose d’autant plus facile que Sogolon est une femme laide et bossue, et que Soundiata, à sa naissance, semble incapable de se développer normalement. Mais cela ne dure pas : Soundiata accède finalement à l’âge adulte et développe une force peu commune, qui fait de lui un grand guerrier. Des sœurs puis des frères lui naissent et il rencontre par ailleurs plusieurs amis et futurs alliés. Malheureusement, ses rivaux finissent par obtenir son exil et c’est un fils de Sassouma qui monte sur le trône. Soundiata semble ne jamais devoir devenir roi.

À peu près à ce moment, le Manding est en butte aux ambitions de conquête d’un roi cruel, Soumaoro, le roi-sorcier, qui conquiert les royaumes les uns après les autres et exerce une domination tyrannique sur toute la région. C’est contre lui que Soundiata, d’exploit en exploit, va soulever peu à peu toute la région, jusqu’à lui déclarer ouvertement la guerre. Soundiata devient finalement le fondateur de l’empire mandingue, ou empire du Mali, qui, à son apogée, couvre un vaste territoire qui correspond actuellement au sud du Mali, au sud-est de la Mauritanie, à presque tout le Sénégal et à l’est de la Guinée.

Un roi-sorcier… une seconde, je pensais que ce Soundiata et les autres personnages avaient réellement existé…

C’est le cas de la plupart, mais il s’agit bien sûr d’une épopée, donc d’une fiction. En l’occurrence, l’épopée de Soundiata ajoute une part de merveilleux à une base historique. Il ne faut jamais oublier que nous sommes dans le domaine de la légende, quelque part entre l’Iliade et la Chanson de Roland, s’il faut trouver des équivalents grosso modo. On peut aussi penser à Alexandre le Grand, le conquérant antique, auquel Soundiata est souvent comparé : Alexandre le Grand est un personnage historique, mais au fil du temps s’est formé un « roman d’Alexandre » qui lui prête toutes sortes d’aventures plus ou moins véridiques ou extraordinaires. L’épopée de Soundiata contient de nombreux éléments merveilleux : la magie, notamment, y est très présente. C’est ce qui rend sa lecture si surprenante. Les circonstances de la naissance et de la mort de Soundiata, son enfance, ses exploits, ne se soucient pas toujours de vraisemblance mais forment un ensemble cohérent. Et certains passages sont vraiment marquants, l’apparition de Soumaoro ou les batailles qui l’opposent à Soundiata par exemple…

Est-ce que le style est beau ? Est-il compliqué ?

Niane écrit dans un style qui tente visiblement de reproduire tout ce que la parole du griot a de proprement oral. Cela se voit par exemple dans la syntaxe des phrases, parfois dans le rythme, et cela donne beaucoup de vivacité à la narration. En dehors de l’emploi de termes propres aux sociétés africaines où évolue Soundiata (des noms d’habits, d’instruments de musique, de coutumes, etc., généralement expliqués dans les notes), le vocabulaire employé n’est pas particulièrement recherché. Quant aux procédés de style, ils sont discrets et la langue en elle-même est peu imagée : il s’agit de laisser la part belle à l’intrigue. C’est un style qui donne une impression de facilité et de simplicité sans doute trompeuse, parce que malgré ce sentiment d’un style « neutre » ou « discret », les personnages sont posés, un univers se dessine où l’on plonge rapidement, il y a une atmosphère, des réflexions morales ou politiques ici et là, etc. Le style neutre n’existe pas…

Ce genre d’histoire, ça n’a pas un peu vieilli ?

À certains égards, si, bien sûr, comme toutes les épopées de ce genre à la gloire d’un conquérant (mais le Soundiata légendaire est si environné de merveilleux qu’il se détache assez nettement de ce qu’a pu être le Soundiata historique). C’est aussi un univers guerrier et dominé par les hommes, même s’il y a plusieurs personnages féminins marquants. Et la morale défendue a un côté très conservateur par moments. Mais, là encore, ce n’est ni meilleur ni pire que d’autres grands classiques plus connus en Europe de l’Ouest et datant d’à peu près la même période. Tous ces textes doivent évidemment être replacés dans leur contexte culturel et historique d’origine si on veut les comprendre en profondeur. Mais encore une fois cela n’empêche pas de les lire d’abord simplement pour le plaisir, parce que ce sont de beaux récits.

Et ce qui est très intéressant aussi, c’est de voir la façon dont cette épopée, qui est déjà étonnante à lire si on la lit simplement comme une légende, brasse toutes sortes de références à la géographie et aux peuples d’Afrique de l’Ouest. C’est une plongée dans l’histoire de cette partie du monde, mais en plus agréable qu’un manuel d’histoire. Une fois qu’on a lu ça, on peut s’intéresser aux autres versions de l’épopée, mais aussi à l’histoire de ce coin du monde.

Et pour aller plus loin, qu’est-ce qui existe ?

Une chose qui peut être un peu frustrante à la fin de la lecture, quand on a bien aimé cette épopée, c’est que cette version reste courte et finalement assez rapide : cela donne l’impression qu’une épopée aussi grandiose mérite quelque chose de plus ample que ce tout petit livre. J’ai donc cherché une version plus ample, et qui serait accompagnée de davantage de commentaires. Pour le moment, j’ai trouvé un ouvrage plus touffu que j’ai lu et chroniqué ici : La Grande Geste du Mali, par Youssouf Tata Cissé et Wâ Kamissoko, paru chez Karthala en deux volumes en 2007 et 2009 (le premier volume s’intitule Des origines à la fondation de l’Empire et le second Soundjata, la gloire du Mali). Comme l’ouvrage de D. T. Niane, celui-ci est le résultat d’une enquête menée par un chercheur, Youssouf Tata Cissé, auprès d’un griot, Wâ Kamissoko. Il y a à la fois une version plus longue et plus détaillée de l’épopée et toutes sortes d’analyses historiques sur l’empire du Mali, les traditions des griots, etc. (EDIT le 25/08/2013 : Je l’ai lu, le lien mène vers le billet à son sujet.)

Si ces deux grands volumes touffus vous intimident, je ne peux que vous conseiller le beau roman de Camara Laye Le Maître de la parole, paru en 1978, qui est une version romancée de l’épopée de Soundiata qui en conserve les grandes lignes, tout en la présentant de façon extrêmement accessible pour un lectorat adulte. Au moment où j’écris, ce livre est surtout trouvable d’occasion mais pas réédité depuis un moment, et c’est une honte, car à mes yeux il s’agit d’un classique.

Si au contraire vous cherchez une version encore plus accessible, allez voir du côté des livres pour la jeunesse : je n’en ai eu qu’un en mains, mais une recherche rapide montre qu’il en existe plusieurs (certains illustrés) qui relatent les aventures de Soundiata. EDIT le 22/05/2014 et le 26/10/2018 : Il y a par exemple Soundiata, l’enfant-lion de Lilyan Kesteloot, illustré par Joëlle Jolivet (Casterman, 1999) et que j’ai lu et chroniqué à son tour ici fin 2018. Il y a aussi, en grand format, L’épopée de Soundiata Keïta de Dialiba Konaté et Martine Laffont (Seuil, 2002), qui accomplit un travail important pour représenter en images l’univers de Soundiata d’une façon fidèle aux traditions ouest-africaines.

Vous pouvez aussi vouloir passer à des ouvrages historiques pour faire la part entre la réalité et la fiction dans l’épopée. Je connais l’existence d’une monumentale Histoire générale de l’Afrique réalisée collectivement avec le soutien de l’UNESCO, mais c’est un peu gros pour commencer… et je n’ai pas (encore) de référence de bon manuel d’histoire sur le sujet. En attendant, un livre comme La Grande Geste du Mali mentionné ci-dessus contient déjà quelques analyses historiques sur les épisodes de l’épopée.

C’est aussi à Soundiata que l’on attribue la réalisation d’un texte juridique majeur de la région : la charte du Manden (ou Mandé), qui, dans la version de l’épopée dont je parle ici, aurait été conçue lors d’une importante assemblée réunissant Soundiata et ses nouveaux vassaux à Kurukan Fuga. Cette charte, qui contient des dispositions politiques et juridiques, énonce notamment des droits fondamentaux des hommes et des femmes, et elle paraît former toujours un enjeu important dans la vie politique africaine actuelle. Sur ce document, j’ai trouvé par exemple La Charte de Kurukan Fuga. Aux sources d’une pensée politique en Afrique, ouvrage collectif publié en 2008 chez L’Harmattan par le Centre d’études linguistiques et historiques par la tradition orale (CELHTO). Mais il semble destiné à un public déjà bien informé sur Soundiata. (EDIT le 02/01/2013 : Je l’ai lu, le lien mène vers le billet à son sujet.)

Mise à jour le 20 novembre 2019 : les adaptations au cinéma. L’épopée a connu plusieurs évocations au cinéma. Au début de cet article, j’ai parlé de Kirikou et les Hommes et les Femmes de Michel Ocelot, un joli film d’animation composé de plusieurs histoires courtes dont une met en scène une griotte ; mais l’histoire ne dit que quelques mots sur Soundiata lui-même. Il existe un film en prises de vue réelles, Keïta ! L’Héritage du griot, réalisé par Dani Kouyaté en 1995, qui, à l’intérieur d’un récit-cadre, raconte l’épopée. C’est apparemment un classique, mais je n’ai pas encore réussi à me le procurer et ne l’ai pas encore vu. J’ai eu le grand plaisir d’apprendre la sortie en 2014 d’un film d’animation en images de synthèse, Soundiata Keïta, le réveil du lion, qui est une adaptation de l’épopée destinée à un large public. Ce film, en plus, est produit entièrement en Afrique, plus précisément en Côte d’Ivoire, par le studio Afrikatoon. Je n’en ai vu que des extraits et le résultat a l’air très correct (surtout si on tient compte des différences de budget entre ce film et les mastodontes coûteux des studios américains) ; j’espère avoir l’occasion de le regarder un jour en entier.

Un mot pour conclure ?

L’épopée de Soundiata est un grand classique de la littérature mondiale, et je regrette de ne pas en avoir entendu parler plus tôt. C’est un récit ample, étonnant, plein de souffle, qui pourrait facilement donner lieu à toutes sortes d’adaptations à l’écrit et à l’écran ; et c’est aussi un récit fondateur, un de ces ensembles légendaires qui forment les piliers de plusieurs cultures dans tout un coin du monde. Le livre de D. T. Niane m’a paru une bonne porte d’entrée vers ce sujet, mais il en existe certainement d’autres versions. L’essentiel est de trouver celle qui vous convient et d’aller y mettre le nez : vous n’y perdrez pas votre temps.

(Ce n’est pas une interview, mais un billet écrit sous la forme d’un dialogue, histoire de varier un peu.)


[Film] « Ernest et Célestine », de Benjamin Renner, Stéphane Aubier et Vincent Patar

1 janvier 2013

2012, Ernest et Célestine, Benjamin Renner

Ernest et Célestine, c’est l’adaptation d’une série d’albums pour la jeunesse écrits et dessinés par Gabrielle Vincent, et racontant l’amitié inattendue entre un gros ours, Ernest, et une petite souris, Célestine. Le film, produit par les Armateurs (connus notamment pour avoir produit les Kirikou), est une coproduction franco-belge. Trois réalisateurs : un Français qui fait ses premières armes en long métrage, Benjamin Renner, et deux Belges plus expérimentés, Stéphane Aubier et Vincent Patar, connus pour la série puis le film animés Panique au village (2009). Le scénario et les dialogues sont signés Daniel Pennac (romancier, mais aussi plus récemment scénariste en BD pour deux Lucky Luke).

Je ne connaissais pas bien la série originale, je laisse donc les gens qui la connaissent faire la comparaison. À vue de nez, le film fait le choix d’une tonalité légèrement plus sombre que les albums, ce qui permet au film de s’adresser à un public familial plus large. En contrepartie, les vraiment-tout-petits risquent de ne pas tout comprendre, même si le film reste largement accessible aux jeunes enfants (j’ai lu quelque part « Dès 3 ans »… heu, non. Sans être parent, je dirais quand même plutôt à partir de 4-5 ans à vue de nez).

L’histoire

Célestine est une petite souris élevée dans un orphelinat où la surveillante effraie les enfants avec l’histoire du Grand Méchant Ours. Dans ce monde, les rongeurs vivent dans une cité souterraine tandis que les ours vivent en haut, dans la ville. Mais Célestine ne croit pas qu’un ours soit nécessairement méchant. Elle n’a pas non plus envie de devenir dentiste comme tout le monde : elle préfère dessiner. Mais dès qu’elle grandit un peu, elle est envoyée avec les autres petites souris faire la collecte des dents de lait sous les oreillers dans les maisons des ours. Hélas, elle ne réussit pas très bien à sa tâche… c’est au cours de sa mission qu’elle rencontre l’ours Ernest.
Ernest, de son côté, fait l’homme-orchestre dans les rues pour essayer de gagner un peu d’argent sans se faire apercevoir par les gendarmes. Mais il n’y parvient pas et commence à mourir de faim… il a tellement faim qu’il pourrait bien manger Célestine. Mais celle-ci ne se laisse pas faire, et l’aide à trouver à manger à la place.
Une amitié toute naturelle naît peu à peu entre l’ours et la souris, mais les deux amis facétieux risquent de gros ennuis auprès de leurs peuples respectifs…

Mon avis

Je reviens de le voir, et j’ai beaucoup aimé.
D’abord parce que c’est un très beau film, au sens où les images et l’animation sont magnifiques. C’est de l’animation en 2D imitant des dessins à l’aquarelle, très fidèles aux illustrations des livres, et avec un côté volontairement « pas fini » dans les couleurs et un trait mouvant qui donnent une impression de spontanéité : on voit presque les coups de crayon… Ne nous y trompons pas, un rendu pareil a dû demander énormément de travail, mais le résultat est vraiment très beau, et chaque image du film ferait une belle illustration à part entière.
L’animation des personnages est magistrale, habilement rythmée, et sert très bien l’humour ou l’émotion du film (qui alternent parfois à quelques instants d’intervalle).
Même réussite sur le plan du son. Les voix sont bien choisies et fonctionnent très bien, notamment celles des deux personnages principaux (Lambert Wilson fait très bien l’ours mal léché et Pauline Brunner campe une Célestine vive et touchante, sans tomber dans des sonorités trop cliché). La musique, jamais envahissante, choisit une instrumentation rappelant un peu la musique de rue que joue Ernest et accompagne l’animation avec un bon sens du rythme. Elle contrebalance parfois les scènes plus dramatiques en leur redonnant une touche de légèreté, sans en faire trop non plus. Les thèmes sont plaisants à écouter et donnent envie de réécouter la musique pour elle-même.
Venons-en au scénario. Comme je l’ai dit, il installe un univers étonnamment sombre par rapport à ce que l’affiche peut laisser penser. Le monde où évoluent Ernest et Célestine emprunte beaucoup de ses traits à la bonne société rigide de la fin XIXe s. et parfois du milieu du XXe, et Pennac en profite pour réaliser au passage une satire sociale qui annonce les thèmes centraux du film : l’acceptation de l’autre et la remise en question des préjugés conservateurs.
Le traitement que fait Pennac de l’histoire est plus ambitieux mais aussi plus risqué qu’une simple affirmation d’un vague message lénifiant. Ernest et Célestine sont des hors-la-loi, et ils passent une bonne partie du film avec la police aux trousses. Il faut pourtant les réconcilier avec la société à la fin, dans un dénouement qui confine à l’allégorie, de sorte que l’ensemble pourrait facilement sombrer dans le démonstratif. Pourtant, il m’a semblé que le résultat passait très bien.
D’abord parce qu’on reste dans un message assez général : il n’y a pas d’allusion explicite au monde politique réel, même si les adultes n’auront aucun mal à comprendre ce que les auteurs ont en tête – et le message est social autant que politique.
Ensuite et surtout, tout ça reste avant tout très drôle ! Les déboires des deux amis avec les représentants de l’ordre se placent dans la grande tradition du comique et font penser à Charlot ou à Laurel et Hardy (et non aux Guignols de l’info : on ne trouve pas de ces « clins d’œil » trop fréquents dans les doublages des films d’animation, qui nuisent à la cohérence de la fiction en transformant l’histoire en simple suite de références).
Et puis, l’ensemble est bien ficelé, avec là encore un rythme bien maîtrisé : l’intrigue avance à un bon train, et ralentit tout juste ce qu’il faut de temps en temps pour ménager quelques séquences paisibles et très belles chez Ernest, lorsque les deux amis peuvent vivre tranquillement quelque temps avant de devoir de nouveau se coltiner le reste du monde.

Bref, en deux mots, c’est un fort beau film, qu’il serait dommage de manquer pendant qu’il est encore sur les écrans.

Message posté sur le forum du site Elbakin.net le 30 décembre 2012, rebricolé depuis.