Référence : Emily Brontë, Wuthering Heights, Oxford University Press, collection « Oxford World’s Classics », 1998 (paperback). (Première édition : 1847.)
J’ai entamé Wuthering Heights (je l’ai lu en anglais : on le connaît en français sous le titre Les Hauts de Hurlevent) sans bien connaître le sujet du livre. Influencé sans doute par les clichés et les images de films adaptés d’autres romans des sœurs Brontë comme Jane Eyre, je m’attendais à un roman romantique, centré sur une histoire d’amours contrariées, en un peu plus pêchu pour cause de vents hurlants et de Heathcliff qui, apparemment, était un personnage au caractère difficile. J’étais loin de m’imaginer la dureté de ce roman et le caractère implacable de Heathcliff.
Tout commence lorsque le narrateur, Mr Lockwood, arrive, au hasard d’une location de ferme, dans la maison du propriétaire de la ferme, Heathcliff. Il y est accueilli à rebours de tous les usages de courtoisie de l’époque victorienne, et même contre la politesse et l’hospitalité les plus basiques. Indigné et apeuré, mais aussi fasciné par le foyer lugubre qu’il a découvert, il rassemble par degrés l’histoire de cette famille hors du monde. La première partie du roman s’intéresse au couple, ou plutôt à la paire, formée par Catherine et Heathcliff, tandis que la seconde moitié s’intéresse au devenir de la fille de Catherine et des autres enfants de la famille de Catherine, contre lesquels Heathcliff exerce une vengeance longue et cruelle.
Si on cherche une histoire d’amour dans ce roman, on en trouvera une, mais certainement pas comme on s’y attend. Wuthering Heights est avant tout une étude psychologique et sociale qui parle de discrimination sociale, de violence domestique, d’orgueil et de vengeance, bien avant de parler d’amour. On pourrait le présenter ainsi : « Un malheureux enfant de bohémien est recueilli et bien traité par un riche propriétaire terrien de la campagne anglaise, mais tout le reste de la maisonnée le hait, y compris les enfants de son âge, sauf la petite Catherine qui s’entiche de lui mais sans vouloir le lui avouer à cause de son caractère aussi orgueilleux que celui du garçon. Maltraité par tout le monde après la mort de son protecteur, le petit garçon met en œuvre une lente vengeance qu’il conduira jusqu’au bout des dizaines d’années plus tard. »
Par endroits, le roman lorgne aussi vers le fantastique, avec ses personnages angoissés et ses apparitions ou hallucinations ambiguës. Il se rattache ainsi par plusieurs aspects au roman gothique anglais du XIXe siècle, mais en les mélangeant à d’autres plus inattendus de façon à s’écarter substantiellement des codes habituels du genre. Bref, il est assez difficile à classer.
Une autre originalité du roman est que l’un de ses narrateurs et personnages principaux est une domestique, Nelly Dean. Ses récits faits à Mr Lockwood sont importants, car ils permettent d’adopter un certain recul (et un jugement moral) sur ce qui se passe chez les maîtres, de la part d’une personnage qui se trouve tout de même contrainte et forcée de composer avec leur orgueil et leurs caprices, qui se trouve parfois prise au piège de leurs ruses ou même complice plus ou moins volontaire de leurs secrets. Un autre domestique, pendant redoutable de Heathcliff, est le serviteur Joseph, avec sa piété hautaine qui confond la foi et les chapelets de malédictions, et son langage dialectal incompréhensible.
Pour finir, ajoutez à cela une énergie, une puissance étonnante qui court tout au long du roman et qui anime les personnages, en particulier Catherine et Heathcliff. On assiste à leurs excès et à leurs affrontements comme en apnée, dans un huis clos étouffant qui donne une image réellement infernale des campagnes anglaises reculées. Les cottages vous feront beaucoup moins rêver quand vous redouterez d’y tomber sur un Heathcliff, une Catherine ou un Joseph !
On peut même vraiment parler de violence domestique, psychologique et physique, tant Brontë pourrait par endroits rivaliser avec un Zola dans la description de la psychologie d’une famille riche en personnalités insupportables, tourmentées et perverses. Je suis content d’avoir lu ce livre, mais, vers la fin, j’avais hâte de le finir, pour passer à quelque chose de moins éprouvant.
Wuthering Heights, dans l’édition Oxford Classics où je l’ai lu, est précédé par une excellente introduction qui montre toute la complexité du roman en le replaçant dans son contexte et en retraçant les principales interprétations proposées, parfois réductrices, avant d’en proposer une autre plus nuancée.
C’est un grand roman, qui n’a pas volé son statut de classique.
J’ai d’abord publié cet avis sur le forum Le Coin des lecteurs le 9 avril 2017 avant de le remanier pour le publier ici.