Référence : Fabrice Blin, Les Mondes fantastiques de René Laloux, Chaumont, Le Pythagore, 2004.
Quittons un moment les mythes et les légendes lointaines pour revenir au cinéma d’animation, avec un beau livre consacré au réalisateur René Laloux.
Quatrième de couverture
«Le vrai cinéma, c’est l’animation !» Telle est la devise de René Laloux, réalisateur de trois longs métrages d’animation aussi superbes qu’atypiques: La Planète sauvage, Les Maîtres du temps et Gandahar. Personnage réputé pour sa verve gouailleuse et son humour incisif, René Laloux est un véritable auteur militant pour une certaine émancipation du cinéma d’animation. Metteur en scène avant tout, il a systématiquement confié le dessin de ses films à des artistes de talent tels que Roland Topor, Mœbius ou Philippe Caza. Mais par-delà sa diversité graphique, son œuvre fait preuve d’une cohérence remarquable puisque tous ses films font, par le biais allégorique de la science-fiction et du fantastique, l’objet d’une réflexion politique, sociale et philosophique.
Richement illustrée au moyen de documents rares, Les Mondes fantastiques de René Laloux est une biographie très complète, constituée d’une longue conversation avec l’intéressé, ponctuée d’analyses de ses films et retraçant de manière chronologique sa carrière et son parcours personnel. Cet ouvrage est, par ailleurs, enrichi de nombreux témoignages inédits de ses collaborateurs qui, par recoupement, permettent de se faire une idée assez précise d’un homme généreux dont l’œuvre intemporelle fait aujourd’hui partie intégrante du septième art.
Mon avis
Parmi les réalisateurs français de films d’animation dans la seconde moitié du XXe siècle, le grand public connaît surtout Paul Grimault et son chef-d’oeuvre Le Roi et l’Oiseau (1980), scénarisé par Jacques Prévert, à mi chemin entre le conte poétique et la parabole politique. René Laloux, réalisateur de trois longs métrages d’animation dans les années 1970 et 1980, reste moins connu, pour deux raisons probables : d’abord parce qu’il a œuvré dans un genre qui n’a été vraiment reconnu par la critique qu’assez tard, la science-fiction ; et aussi parce qu’il a eu l’audace de réaliser des films d’animation qui ne s’adressaient pas uniquement à un jeune public, à une époque où l’on considérait encore que l’animation était uniquement faite pour les enfants (un préjugé encore trop répandu aujourd’hui, malgré un nombre croissant de très beaux contre-exemples).
Laloux obtient pourtant un succès majeur avec son premier film, La Planète sauvage, en 1973, produit d’une collaboration avec le dessinateur Roland Topor. Mené à bien malgré de multiples obstacles, surtout financiers, ce film sera suivi de deux autres longs métrages très différents, également les produits d’une collaboration entre Laloux (toujours à la réalisation) et un dessinateur : Les Maîtres du temps en 1981, sur des graphismes de Mœbius, alias Jean Giraud (auteur d’Arzach et dessinateur de L’Incal et de Blueberry, entre autres), et Gandahar en 1987, sur des dessins de Philippe Caza (illustrateur et auteur de bandes dessinées, notamment de la série Le Monde d’Arkadi). À ces trois longs métrages s’ajoutent plusieurs courts métrages tout aussi marquants, parfois réalisés avec les mêmes artistes : citons principalement Les Dents du singe en 1960, Les Escargots en 1965 (avec Topor) et Comment Wang-Fô fut sauvé en 1987 (avec Caza), sans compter plusieurs autres projets abandonnés faute de moyens.
Un petit aperçu de ces films :
– un (très) court extrait de La Planète sauvage qui montre assez bien l’univers de Topor (sur Youtube)
– la bande-annonce des Maîtres du temps (1982) (sur Dailymotion)
– une bande-annonce de fan pour Gandahar (sur Youtube)
La Planète sauvage, Les Maîtres du temps, Gandahar et Comment Wang-Fô fut sauvé sont en outre des adaptations d’œuvres littéraires : le premier adapte le roman de science-fiction Oms en série de l’écrivain français Stefan Wul (plus connu pour Niourk par exemple), le deuxième adapte L’Orphelin de Perdide du même, le troisième adapte Les Hommes-machines contre Gandahar de Jean-Pierre Andrevon (dont j’avais parlé ici en disant aussi un mot du film), tandis que le quatrième adapte la nouvelle du même nom de Marguerite Yourcenar dans son recueil Nouvelles orientales. C’est une autre singularité de Laloux que d’avoir permis à des auteurs français de science-fiction de bénéficier d’adaptations cinématographiques, parfois très peu de temps après la parution de leurs livres : la chose reste encore exceptionnelle aujourd’hui ! Telle est donc l’équation propre à la démarche de René Laloux pour ces quatre films : partir à la fois d’un texte et de l’univers visuel d’un artiste, les faire se rencontrer et prendre vie à l’écran par le biais de l’animation. L’un des talents incontestables de Laloux est d’avoir su ménager ces rencontres et d’avoir travaillé avec beaucoup d’habileté à la double adaptation que représentent la transformation d’un texte en scénario et celle d’un univers visuel figé en film animé.
Il faudrait aussi parler de la musique, la bande originale d’Alain Goraguer pour La Planète sauvage ou celles de Gabriel Yared pour plusieurs autres films ; et de l’attention prêtée à la technique de l’animation elle-même, très ambitieuse sur le plan artistique malgré les contraintes techniques et financières redoutables que devait affronter tout réalisateur de films d’animation à cette époque. Trois longs métrages d’animation, pour un réalisateur français à ce moment-là, cela tient de l’exploit : tous ont été accouchés dans la douleur, après des péripéties parfois réellement improbables.
Le livre de Fabrice Blin, paru en 2004 et terminé juste avant la mort de Laloux, est le premier ouvrage consacré à cette figure importante de l’animation française. Blin ne se cache pas d’être un grand amateur de l’œuvre de Laloux, et Les Mondes fantastiques de René Laloux n’est pas un ouvrage universitaire, mais une biographie artistique de Laloux doublée d’un beau livre du type « Dans les coulisses des films ». On y trouve plusieurs longs entretiens avec Laloux lui-même, mais aussi de nombreuses et superbes illustrations, mêlant des images des films et des esquisses ou documents techniques rares. Le livre a l’avantage de rendre justice au travail de Laloux sans tomber dans l’hagiographie, et il y parvient en donnant tout aussi longuement la parole aux nombreux collaborateurs du réalisateur : les trois artistes Roland Topor, Mœbius et Philippe Caza, les écrivains Stefan Wul et Jean-Pierre Andrevon (quel dommage que Marguerite Yourcenar soit morte en 1987 : j’aurais été curieux de la voir commenter le court métrage de Laloux !), mais aussi les producteurs, les compositeurs et les animateurs. L’ensemble fournit une mine d’informations sur les films de Laloux et sur le contexte dans lequel ils ont été créés. Le livre consacre pour finir quelques pages à l’œuvre de peintre de Laloux, que l’on découvre surréaliste dans la lignée de Chirico ou Ernst – mais la surprise n’est pas grande pour qui connaît bien ses films.
Sur la forme, le livre est très soigné : les quelque 190 pages en couleur et en papier épais bénéficient d’une mise en page claire et aérée, ménageant une lecture confortable, et j’ai eu le plaisir de ne trouver que de très rares coquilles. La grande taille des illustrations permet d’en apprécier le détail et les couleurs sont soignées.
Je ne trouve pas vraiment de défaut à ce livre, à moins de lui reprocher des manques qui n’entraient pas en réalité dans le projet de l’auteur. Dans une étude savante, on aurait aimé trouver plus d’informations sur l’accueil réservé aux films de Laloux par la critique et leur performance au box-office, ou l’histoire des différents studios avec lesquels René Laloux a travaillé à tel ou tel moment de son parcours, ou des fiches techniques détaillées sur chacun des films, ou encore des analyses de fond sur leur propos artistique, philosophique et politique. Mais le but de Fabrice Blin était manifestement plus modeste, et aussi plus nécessaire dans l’immédiat : rassembler des documents et des témoignages des artistes intéressés pendant qu’ils étaient encore en vie ! Sous cet angle, la réussite est complète, et le résultat fournit une base de travail importante pour les critiques et les chercheurs qui s’intéresseront aux films de Laloux dans les années à venir.
Bref, c’est le livre idéal pour tout cinéphile attaché aux films de Laloux, mais aussi pour toute personne appréciant les univers visuels des artistes avec lesquels il a travaillé et/ou recherchant des documents utiles sur cette période de l’histoire du cinéma d’animation en France.