Référence : André-François Ruaud, Cartographie du merveilleux, Paris, Gallimard, collection « Folio SF », 2001.
Quatrième de couverture de l’éditeur
« Farouches dragons, fées mutines, sorciers débutants et chevaliers de sinistre renommée peuplent les vastes contrées d’une littérature enchanteresse que les Anglo-Saxons nomment fantasy.
Puisant au cœur des mythes et des contes les plus ancestraux – des légendes grecques à la geste arthurienne – comme des plus modernes, la fantasy accueille des figures à jamais inoubliables : Peter Pan, Conan le barbare, Bilbo le Hobbit, Elric le Nécromancien ou Alvin le Faiseur.
Indispensable outil pour les enseignants, fidèle compagnon de voyage pour le lecteur néophyte et confirmé, ce guide de lecture inédit propose un parcours, parfois étonnant, qui conduira le lecteur de l’Odyssée jusqu’aux œuvres de fantasy urbaine les plus contemporaines. »
Mon avis
Ce livre, paru en 2001, fait partie d’une série de guides de lecture publiés par Folio SF et consacrés à différents genres de livres. Chacun est structuré de la même façon : une première partie théorique tentant une rapide définition du genre ; puis une histoire du genre de ses débuts à nos jours, avec ses éventuels sous-genres ; et enfin le guide proprement dit : 100 livres présentés et commentés.
– Passeport pour les étoiles de Francis Valéry balise les territoires de la science-fiction.
– Atlas des brumes et des ombres de Patrick Marcel défriche le domaine du fantastique.
– Bibliothèque de l’Entre-Mondes de Francis Berthelot tente de cerner les « transfictions » qui se jouent des frontières entre littérature générale et littératures de l’imaginaire (sans doute le plus original des quatre, mais aussi celui qui a le plus à faire pour délimiter le genre ou plutôt le non-genre qu’il met en valeur).
André-François Ruaud, éditeur (aux Moutons électriques), critique et écrivain, est spécialisé dans le merveilleux et la fantasy. Son guide de lecture a été pour moi une lecture lumineuse à l’époque. Dans un nombre de pages restreint, il propose une définition du genre claire et rigoureuse, non sans avoir passé en revue plusieurs définitions possibles, européennes ou américaines (les frontières entre genres littéraires n’y sont pas les mêmes). Il retrace ensuite l’histoire du genre, plus longue qu’on ne le pense, même si on ne peut pas forcément le faire remonter jusqu’aux épopées mythologiques grecques.
Son guide a surtout le grand avantage d’embrasser toutes sortes de nuances de la fantasy et du merveilleux qu’on a tendance à oublier complètement sous le rouleau compresseur publicitaire de la Big Commercial Fantasy façon Guémoftrônz ou David Gemmell. Quant à Tolkien, quoique méritant largement son statut de classique, il a tendance à devenir paradoxalement l’arbre qui cache la forêt du genre aux yeux des gens qui n’y connaissent rien.
Ce petit livre peut donc constituer une belle porte d’entrée dans la fantasy pour quelqu’un qui n’en aurait encore jamais lu et ne saurait pas bien ce que signifie « fantasy ». C’est l’occasion de découvrir ou de redécouvrir que le genre englobe aussi bien Le Seigneur des Anneaux et Harry Potter que la fantasy animalière du Vent dans les saules, l’univers fantasque d’Alice au pays des merveilles, le conte de Winnie l’ourson de Milne (dévoré par Disney) ou le mélange de sensualité, d’innocence et de mélancolie de la Trilogie du minotaure de Thomas Burnett Swann. Mais c’est aussi, bien sûr, l’occasion de lire une présentation en règles des références du genre, de Moorcock à Zelazny en passant par Feist, Howard ou Pratchett.
Le livre comprend une chronologie et un index des auteurs et des titres, ce qui est bien pratique pour retrouver une référence.
Un reproche ? Un avertissement, plutôt : Ruaud est un critique littéraire dans l’âme et, à ce titre, il a ses préférences, ses dadas et ses désamours. Ainsi la Big Commercial Fantasy, justement, lui répugne. S’il mentionne des auteurs comme George Martin ou Robin Hobb dans sa chronologie du genre, il n’inclut ni Le Trône de fer (certes beaucoup moins omniprésent en 2001 que maintenant) ni L’Assassin royal dans les 100 livres qu’il présente, mais il choisit en revanche de parler de Wizard of the Pigeons de Megan Lindholm (pseudonyme précédent de Robin Hobb), beaucoup moins connu mais plus personnel et original à ses yeux. De même, il inclut des livres comme Cent ans de solitude de Garcia Marquez dans le paysage du merveilleux et de la fantasy, ce qui pourrait se discuter mais relève d’un choix d’ouvrir le champ du merveilleux au genre du réalisme magique né en Amérique du Sud. Un guide de lecture qui contient des choix personnels, donc, mais cohérents et explicitement présentés.
Le résultat est bien rempli (mieux que d’autres petits guides du genre publiés depuis) tout en restant clair, et fera découvrir le merveilleux et la fantasy sous toutes sortes de facettes qui méritaient d’être mises en valeur. Le tout à un prix plus modique et dans un format plus facile à transporter que le beau mais imposant Panorama illustré de la fantasy et du merveilleux qu’il a dirigé ensuite.
Dans le même genre
Si vous cherchez d’autres livres sur la fantasy qui adoptent une perspective plus savante tout en restant accessibles, je ne saurais trop vous recommander le livre d’Anne Besson, La Fantasy, paru en 2007 chez Klincksieck dans la collection « 50 questions ». Structuré en très courts chapitres d’une à quatre pages répondant chacun à une question au sujet du genre, il allie clarté, rigueur et précision.
Si ce sont davantage des écrits critiques qui vous intéressent, il y a bien sûr les autres guides de la même série chez « Folio SF » que j’ai mentionnés plus haut, mais je peux vous conseiller la lecture des recueils d’articles de Jacques Goimard sur les différents genres de l’imaginaire. Critique du merveilleux et de la fantasy regroupe ceux consacrés au genre qui nous intéresse ici ; il est paru en 2003 chez Pocket. Normalien, Goimard possède une solide formation à la littérature classique, mais s’avère tout aussi à l’aise dans la culture populaire ; éditeur et anthologiste, il a longtemps travaillé chez l’éditeur Fleuve Noir et a écrit pour des journaux aussi variés que Le Monde et Métal hurlant. Ses articles sont savants comme des articles universitaires, mais rédigés dans un style pétillant et plein d’esprit.
Si vous préférez aller lire directement des écrivains de fantasy occupés à parler du genre qu’ils pratiquent, il y a bien entendu le recueil d’articles d’Ursula Le Guin dont je parlais récemment ici : Le Langage de la nuit, plus complet en VO qu’en VF. Je vous recommande également un recueil paru il y a un bon moment aux éditions Bragelonne : Méditations sur la Terre du Milieu, paru en 2003, où de nombreux écrivains évoquent leur lecture de Tolkien et l’influence qu’il a eue (ou non) sur eux, occasion de nombreuses considérations plus générales sur l’écriture et la fantasy (et si vous aimez à la fois Tolkien et Ursula Le Guin, elle y a signé une réflexion passionnante sur les liens entre le style de Tolkien et l’oralité). L’ouvrage est au départ une traduction d’un recueil américain, mais l’éditeur français a eu la bonne idée de l’enrichir de témoignages d’écrivains de fantasy français.
J’ai d’abord posté cet avis sur le forum du Coin des lecteurs le 14 avril 2019 avant de le republier ici dans une version rebricolée et augmentée.