Référence : Le Choc des titans (Clash of the Titans), réalisé par Louis Leterrier, produit par la Warner Bros. et Legendary Pictures, Etats-Unis et Royaume-Uni, 2010, 106 minutes.
Histoire de prolonger un peu l’été, je poursuis ma petite rétrospective, entamée en juillet, sur quelques péplums de ces vingt dernières années. En 2010, même si le genre du film à l’antique avait ressuscité depuis dix ans (avec Gladiator de Ridley Scott, puis l’ambitieux Alexandre d’Oliver Stone et l’innovant Agora d’Alejandro Amenabar), les amateurs de mythologie n’avaient pas encore eu grand-chose à se mettre sous la dent : Troie, on l’a vu, s’obstinait à un historicisme fade, tandis que 300 donnait plus dans l’action et le gore que dans le merveilleux. Ce n’est donc qu’en 2010, avec Le Choc des titans, que votre serviteur mythophile eut le plaisir de voir enfin réapparaître dieux et monstres sur le grand écran. Ce n’était pas trop tôt ! En 2010, j’avais consacré au film un premier billet réunissant mes premières impressions. Onze ans après, voici une critique plus étoffée.
Le film fut raillé par la critique mais s’avéra un succès commercial. Il faut en convenir : ce premier retour au vrai péplum mythologique n’a rien de très mémorable. Encore faut-il, là aussi, prendre le temps de bien comprendre la nature du projet, afin de ne pas donner dans le faux procès et de faire au film les bons reproches.
L’aspect remake
Le Choc des titans est à l’origine un péplum réalisé par Desmond Davis et sorti en 1981, l’une des dernières grosses productions américaines du genre avant l’éclipse des années 1980-1990. L’histoire s’inspire librement du mythe de Persée, dont elle reprend les grandes étapes (l’enfance, la capture de Pégase, les Grées, l’affrontement contre Méduse, puis la victoire contre le monstre marin auquel devait être livrée Andromède) qu’elle réagence pour donner plus de cohérence à l’intrigue, non sans ajouter au passage quelques éléments spectaculaires (Méduse est un être mi-femme, mi-serpent ; le monstre marin est un Kraken mi-humanoïde, mi-poisson ; Persée affronte à un moment donné deux scorpions géants qui ne figurent pas dans le mythe antique ; les principaux monstres du film sont qualifiés de « Titans » malgré leur absence complète de lien avec les Titans mythologiques) et quelques personnages entièrement originaux (principalement Calibos, un homme difforme qui doit plus au Caliban de La Tempête de Shakespeare qu’aux écrivains grecs, et Bubo, une chouette-robot fabriquée par Héphaïstos à l’image de la chouette d’Athéna – la question de savoir si le R2-D2 de Star Wars a copié Bubo ou bien a été copié par elle est probablement l’une des controverses les plus passionnées de l’histoire du cinéma). Les effets spéciaux du film ont été réalisés par le fameux Ray Harryhausen, spécialisé dans l’animation de statuettes de monstres en image par image. L’ensemble, tant les acteurs que les effets spéciaux, a inégalement vieilli, mais conserve un charme certain.
Le Choc des titans sorti en 2010 est un remake de celui de 1981, du moins en principe. Garder cela en tête permet de moins s’exaspérer de certains des écarts par rapport au mythe antique : la présence de Calibos et des scorpions géants sont inexplicables autrement, de même que l’apparence de Méduse ou encore le caméo de Bubo dans une scène du film.
Cependant, le remake de Leterrier est tout sauf servile envers sa source : il apporte à son tour beaucoup de modifications à sa matière, la principale étant l’ajout d’un adversaire principal de Persée en la personne du dieu Hadès. Ce n’est plus Zeus (comme dans le film de 1981) mais Hadès qui lâche les Titans, c’est-à-dire surtout le Kraken, contre l’humanité en général et Persée en particulier ; et sa principale motivation est le désir de supplanter Zeus. Hadès cherchant à libérer des Titans monstrueux pour supplanter Zeus : cela ne peut que faire penser à l’Hercule de Disney, même si l’idée reste relativement générique. Autre élément nouveau : Persée se voit remettre une épée qui se change en simple bâton lorsque tout autre que lui s’en empare. Autre péripétie nouvelle : la place accordée aux scorpions géants, qui naissent ici de la main coupée de Calibos, est plus développée, et il faut une alliance originale entre les guerriers de Persée et des djinns du désert pour vaincre puis apprivoiser les monstres, qui deviennent les montures temporaires d’une caravane merveilleuse. Les modifications apportées au mythe sont donc beaucoup plus importantes que dans le film original : si Le Choc des titans de 1981 pouvait encore être qualifié d’adaptation à l’écran d’un mythe antique, celui de 2010 s’en écarte franchement pour basculer dans la fantasy mythologique.
On voit que, dans ce projet hybride, la réappropriation des inventions du film de 1981 n’est pas inintéressante, en particulier la transformation du rôle accordé aux scorpions. On observe aussi la résonance politique de l’apparition des djinns du désert, qui ont l’allure d’êtres ligneux aux yeux brillants, enveloppés dans des voiles bleus comme des touaregs, et dont on ne comprend pas la langue ; la séquence insiste sur la méfiance des Grecs envers ces démons orientaux, mais débouche sur une alliance, au terme de laquelle l’un des djinns ira jusqu’à se sacrifier pour aider Persée dans sa lutte contre Méduse, en se faisant exploser en une gerbe d’énergie bleutée (!). Difficile de ne pas y voir une allusion, consensuelle sur le fond mais résolument ludique dans la forme, à la peur américaine du terrorisme proche-oriental. Regardé au premier degré, c’est aussi une joyeuse rencontre entre mythologies comme on aimerait en voir plus souvent…
Le reste
Voilà pour l’aspect remake. Mais tout cela ne suffit pas à faire un bon film. Qu’en est-il du reste ? Sur le plan visuel, nous assistons enfin au grand retour des dieux de l’Olympe et des créatures mythologiques à l’écran. Si l’Olympe est un peu fade, l’aspect des dieux adopte un parti pris assez convaincant bien qu’éloigné de ses sources : celui de représenter les dieux dans des armures scintillantes tout droit héritées de la série d’animation japonaise Saint-Seiya (Les Chevaliers du Zodiaque). L’aspect des monstres est quant à lui réussi dans l’ensemble, et très conforme à la mode actuelle du réalisme sombre. Pégase lui-même a abandonné son habituelle couleur blanche pour une robe d’étalon noir. Charon, lui, a fusionné avec son navire pour former une entité de bois hautement antipathique. Si Méduse conserve l’apparence qu’on lui connaissait dans le film de 1981, le Kraken, de son côté, se rapproche de la représentation habituelle des krakens comme des calmars géants en se dotant de tentacules dont ne disposait pas son modèle harryhausenien (c’est probablement un effet du succès du mythe de Cthulhu, création de l’auteur américain H. P. Lovecraft remontant aux années 1930, dont le dieu monstrueux a mis à la mode les humanoïdes à tentacules).
Le seul grand reproche qui a été fait au film sur le plan visuel ne réside pas dans sa réalisation proprement dite mais dans sa conversion à la 3D relief, faite à la va-vite et qui semble avoir rendu certaines scènes pratiquement illisibles (le film est même devenu un exemple-type des ratages que peut entraîner une mauvaise conversion 3D). Mais pour qui regarde le film en 2D, le problème ne se pose pas, sauf dans les effets clinquants du générique, kitschissime.
Là où le bât blesse, c’est dans le détail du scénario et dans les dialogues. Un parti pris dans la lignée de Troie montre (il y en aura d’autres exemples) le consensus qui paraît régner à Hollywood dans la représentation du paganisme : le héros n’aime pas les dieux, dont le pouvoir lui paraît tyrannique et l’implication dans la justice sur Terre très insuffisante, et la question de savoir s’il va faire ou non quelque chose pour eux constitue donc le grand dilemme qui l’occupe pendant une bonne partie du film. Nous sommes bien entendu à des années-lumière de la mythologie antique, où la question ne se poserait même pas. Mais cela pourrait donner quelque chose d’intéressant si le personnage de Persée et sa relation avec Zeus étaient bien développés. Malheureusement, tout cela reste très schématique. Tout aussi schématique est le personnage d’Io (qui n’a rien à voir avec la vierge puis génisse du même nom) qui finit évidemment avec Persée. Les dialogues sont d’une platitude consternante, frappés eux aussi par la brevitas pontifiante hollywoodienne.
Le jeu des acteurs est probablement ce qui achève de plomber le film. Sam Worthington, en particulier, qui incarne Persée, est d’une inexpressivité qui tient de la prouesse. Quant à la musique, elle fait vaguement son travail d’accompagnement et d’entretien du suspense, mais son écoute à part du film m’a hélas confirmé qu’elle ne valait pas grand-chose en elle-même.
Conclusion
Que retenir de ce remake ? Pour ma part : quelques beaux paysages (la ville de Joffa, le désert), quelques beaux plans (la chevauchée sur les scorpions géants), un bon acteur (Ralph Fiennes en Hadès) et quelques idées récupérables pour une partie de jeu de rôle sur table, par exemple l’ébauche de cross-over trop brève entre la mythologie grecque et les djinns des croyances pré-islamiques qui viennent en aide à Persée contre les scorpions géants. On pourrait citer la scène avec Méduse, mais je continue à lui préférer celle de l’original de 1981, dont le rythme est plus lent, mais contribue mieux à poser une ambiance angoissante. Tout cela fait bien peu, et je dois dire que c’est un film que je n’ai même pas spécialement eu envie de revoir depuis le premier visionnage en DVD, c’est dire. Il faut lui reconnaître le mérite d’avoir fait redécouvrir le synopsis du premier Choc des titans à une nouvelle génération… mais avec un scénario bien plus simpliste que celui de l’original. Faut-il donc plutôt revoir le film de 1981 ? Pour son scénario, sans doute, qui était plus fouillé et plus intelligent (notamment le personnage de Calibos, l’une des multiples inventions du film). Mais ses effets visuels ont inégalement supporté le passage du temps (si la scène avec Méduse reste très regardable, les apparitions de Pégase font sourire) et il faut reconnaître que les acteurs et actrices de l’époque n’avaient rien de mémorable non plus : Harry Hamlin n’était guère plus expressif que Sam Worthington.
Alors ? Disons que les deux films sont à réserver aux cinéphiles soit très indulgents, soit prêts à supporter du cinéma plan-plan pour compléter leur culture sur le genre du péplum. Pour les autres, vous pouvez retourner lire un bon livre ou une bonne BD sur la mythologie grecque… ou carrément un roman de fantasy mythologisant comme ceux de l’Espagnol Javier Negrete (Le Regard des Furies, Alexandre le Grand et les aigles de Rome, Le Mythe d’Er…).
J’ai d’abord publié ce billet sur le blog « Dans l’univers universitaire » le 24 décembre 2011 avant de le remanier pour le republier ici.