[Film] « The Woman King » de Gina Prince-Bythewood

27 février 2023

Référence : The Woman King, réalisé par Gina Prince-Bythewood, produit par TriStar, Welle Entertainment, JuVee Productions, Jack Blue Productions et Entertainment One, États-Unis, 2022, 126 minutes.

L’histoire en quelques mots

The Woman King, réalisé par Gina Prince-Bythewood, est un film d’aventure et d’action librement inspiré par l’histoire des guerrières du Dahomey, les Agojiés (surnommées les « Amazones » par les colons).

On suit donc Nawi, une ado rebelle qui finit vendue au roi par son père adoptif qui n’arrive pas à la marier. Là, elle découvre le quotidien des Agojiés, les guerrières d’élite, qui vivent dans le palais du roi et qu’aucun homme n’a le droit de regarder ou d’approcher. Subjuguée, Nawi est résolue à suivre l’entraînement le plus rude pour devenir une Agojiés. Ce qui tombe bien, parce qu’avec les ambitions grandissantes de son grand rival, le royaume d’Oyo, le Dahomey n’aura pas de trop de toutes ses guerrières pour ne pas finir dépecé entre ses voisins. Sans parler du système esclavagiste qui affaiblit les royaumes africains au profit de marchands européens pas gênés pour jouer de leurs rivalités histoire de faire marcher le commerce.

À noter que, même si c’est un film d’action historique, on n’est parfois pas loin de la fantasy, entre les combats de cape et d’épée et la touche de fantastique amenée par un rêve prémonitoire ; mais cela reste discret.

Mon avis

Je suis allé voir ce film sans attente particulière, avant tout par envie de voir un film inspiré de l’histoire africaine, ce qui n’arrive pas tous les jours. Et finalement, même si le film n’est pas parfait (ça reste du Hollywood avec des ficelles hollywoodiennes), il m’a bien plu !

Rien que pour le décor, le costume et le sujet, le film vaut la peine d’être vu. Jusqu’à présent, pour voir des conflits entre royaumes africains mis en scène de manière un tant soit peu épique, le mieux dont on disposait était l’extension africaine de Age of Empires II version remastérisée… qui ne portait pas sur la même époque. Et là, bam, on a un film à grand spectacle, certes avec « seulement » 50 millions de dollars de budget, donc petit par rapport aux grands blockbusters du genre (c’est un quart du budget de Black Panther), mais sans comparaison avec ce qui s’était vu au cinéma sur le même thème. D’où des beaux décors, des costumes soignés et des scènes d’action épiques.

Mais le film est aussi porté par sa distribution, une brochette d’actrices qui m’ont globalement convaincu. Mention spéciale à Viola David, qui dégage une présence et une puissance impressionnantes dans le rôle de Nanisca, cheftaine des Agojiés. Mais la jeune actrice qui joue Nawi s’en sort très bien, et Lashana Lynch est sympathique en diable en Agojié dure à cuire et pleine d’empathie pour la jeune recrue. Et dans le rôle du roi du Dahomey, on retrouve John Boyega (Finn dans la dernière trilogie Star Wars).

La bande-annonce m’avait laissé craindre un curseur de violence trop élevé pour moi (pas mon truc). Finalement, ça reste assez grand public, avec pas trop de sang visible. Ça se regarde comme un film d’aventure ou de cape et d’épées avec des guerrières africaines en héroïnes. C’est le point fort du film et ça tombe bien, parce que c’est le cœur de son projet. Je n’y connais pas grand-chose, mais les combats m’ont paru lisibles et très bien chorégraphiés.

Ajoutons quelques personnages bien développés (en particulier Nanisca, mais aussi Nawi et Izogie), quelques choix bienvenus (pas d’intrigue amoureuse envahissante, par exemple) et une bande originale plutôt réussie (dommage que les paroles des chansons de guerre des Agojiés ne soient pas sous-titrées).

Au chapitre des défauts :

L’intrigue repose en bonne partie sur des ficelles hollywoodiennes de film épique assez classiques : une jeune recrue rejoint un groupe d’héroïnes fortes et courageuses qui se dresse contre un ennemi retors afin de défendre de bonnes causes (leur royaume, leurs compagnes d’armes, la lutte contres les colons et l’esclavage).

Il y a quelques longueurs au milieu, avec des personnages secondaires pas tous bien développés (l’entourage du roi au palais aurait pu avoir un peu plus de consistance) et quelques tropes agaçants (il faut toujours que les gens s’échangent des objets).

Le contexte, y compris le recours des royaumes africains à la capture de prisonniers de guerre pour alimenter le commerce des esclaves, est bien restitué, mais le personnage de Nanisca ne correspond à aucune Agojié réelle, puisque cet ordre guerrier n’a jamais pris de positions abolitionnistes, et la fin est assez anachronique par endroits. Mais ce n’est vraiment pas pire que ce qu’on trouve dans pas mal d’autres films épiques hollywoodiens sur d’autres sujets. Idéaliser un ordre guerrier en le présentant comme défenseur de la liberté alors qu’en réalité c’étaient tous d’affreux esclavagistes, ça s’était déjà vu, à une tout autre échelle, avec 300 et ses Spartiates qui en plus étaient présentés comme de gentils démocrates, ce qui est du pur délire par rapport à la réalité historique (Sparte était la cité la plus esclavagiste et la plus violente avec ses esclaves en Grèce à l’époque classique).
D’ailleurs, la réalisatrice présente bien son projet comme un film de divertissement (dans la lignée de Braveheart, Gladiator, etc. qui ne sont pas du tout conçus pour être des monuments d’exactitude historique), et son but est de donner envie de se renseigner sur cette période historique.

Conclusion

Bref, il ne faut pas trop en demander à ce film, mais il faut bien voir qu’il représente déjà un petit miracle en soi, au vu de la lourdeur des contraintes de ce type de production. J’espère qu’il aura assez de succès pour convaincre les financeurs (qui n’ont pas attendu les restrictions de chauffage pour être frileux) de monter d’autres productions de ce genre. Et qu’il incitera les gens à aller lire des trucs sur l’histoire africaine, qui le mérite bien.

Dans le même domaine, si la culture de l’actuel Bénin vous intéresse, j’avais chroniqué ici le recueil de Christine Grimagnon-Adjahi, Le Forgeron magicien. Contes fon du Bénin (L’Harmattan, 2008). Sur la question de l’esclavage, je ne saurais trop vous conseiller le volume Les Mondes de l’esclavage. Une histoire comparée, dirigé par Pauline Ismard et coordonné par Benedetta Rossi et Cécile Vidal, paru au Seuil en 2021, qui retrace l’histoire de l’esclavage partout dans le monde depuis l’Antiquité. Ne vous laissez pas impressionner par son volume : il est divisé en chapitres courts, à la mise en page claire, ce qui le rend facile à découvrir en picorant ici et là si vous ne vous sentez pas de vous lancer d’emblée dans sa lecture complète (ce qui finira sans doute par arriver, tant ce livre est passionnant).

J’ai d’abord posté cet avis sur le forum du site Elbakin.net avant de le reposter ici.