Référence : Agatha Christie, Murder in Mesopotamia, Londres, Harper, 2016 (première publication : Collins, The Crime Club, 1936).
Présentation de l’éditeur
En arrivant sur le chantier de fouilles de Tell Yarimjah, miss Amy Leatheran ouvre de grands yeux. Quoi de plus dépaysant pour une jeune infirmière que ce pays exotique, cette équipe d’archéologues installée loin de tout ? Et quelle mission singulière que d’avoir à veiller sur la belle Mrs Leidner, en proie à des hallucinations et des terreurs diverses… Miss Leatheran va tâcher de s’acquitter au mieux de ses fonctions. Mais, de masques terrifiants paraissant à la fenêtre en menaçantes lettres anonymes, les angoisses de Mrs Leidner vont finir par l’étreindre à son tour. Et lorsque cette dernière sera assassinée, Amy aura le rare privilège d’assister de près à une enquête de l’illustre Hercule Poirot…
Mon avis
Pas particulièrement amateur de romans policiers, j’ai malgré tout vu de nombreuses adaptations de romans d’Agatha Christie à la télévision, en particulier dans la série britannique Hercule Poirot, où le détective est admirablement campé par l’acteur David Suchet. J’avais lu quelques-unes de ses enquêtes quand j’étais au collège, et à force de voir la série, l’envie m’est revenue de lire une de ses enquêtes, cette fois en anglais dans le texte. Intéressé par l’archéologie et l’Antiquité, j’ai opté pour Murder in Mesopotamia (Meurtre en Mésopotamie).
Autant le dire tout de suite : l’archéologie et l’Antiquité ne sont pas du tout au cœur du récit, mais ménagent simplement un décor, documenté de façon crédible tout de même. Le roman est narré du point de vue d’une infirmière, Miss Leatheran, qui ne connaît absolument rien à ces sujets : cela permet, entre autres, de rendre ce domaine accessible à un vaste lectorat. De mon côté, je m’attendais à un peu plus de détails sur la Mésopotamie antique, mais pas à un roman historique, donc ça ne m’a pas trop déçu.
Première originalité du roman : Hercule Poirot n’y entre pas en scène tout de suite. Tout le roman est narré du point de vue de l’infirmière Leatheran, occasion pour Agatha Christie de mettre en scène la voix d’un personnage féminin très intéressant en lui-même. Miss Leatheran est curieuse, pas bête et a des intuitions sur la psychologie des gens qui l’entourent, mais elle a aussi ses naïvetés et ses préjugés (notamment envers les Arabes) et Christie laisse deviner régulièrement les réactions des autres personnages quand Leatheran laisse percer ces deux défauts. Cela donne tout de suite de la profondeur au récit et de l’épaisseur à tous les personnages.
De la psychologie, il en est beaucoup question dans ce roman, car une bonne partie de l’affaire repose là-dessus. Meurtre en Mésopotamie est un huis clos comme Agatha Christie les affectionne (voyez aussi le fameux Crime de l’Orient-Express et sa pièce de théâtre The Mousetrap, en français Trois souris) : un lieu fermé dont on connaît très vite le plan en détail, un groupe de personnages amené à cohabiter plus ou moins bien, et surtout, bien sûr, un meurtre qui a eu lieu quelque part où personne n’a normalement pu aller.
Beaucoup de choses tournent autour de la personnalité de la victime : lady vertueuse ou séductrice insensible et mythomane ? Miss Leatheran, arrivée tout récemment parmi des gens dont la plupart se connaissent depuis plusieurs années, peine à démêler l’écheveau des avis, des rumeurs et des impressions parfois trompeuses.
Poirot, lui, n’arrive qu’après le meurtre et, là encore, le point de vue de Miss Leatheran ajoute une jolie profondeur au récit, via la relation de confiance et de coopération tacite qui se noue entre les deux personnages.
Le roman a un peu vieilli par certains aspects : certaines déductions reposant sur la psychologie font figure aujourd’hui de généralisations abusives ou de purs et simples préjugés (c’est un défaut récurrent dans les romans de Christie). De même, certaines ficelles utilisées pour maintenir le suspense sont un peu grosses, en particulier dans les fins de chapitres au début, mais cela s’améliore ensuite.
Il m’a semblé que le roman mettait un peu de temps à se mettre en place, la contrepartie étant que l’auteure prend le temps de présenter les personnages et d’installer peu à peu une atmosphère oppressante. Par la suite, la machinerie de l’enquête se met en route et je me suis assez bien laissé prendre au jeu des énigmes et des soupçons envers tel ou tel personnage. Le dénouement est à la hauteur de la réputation d’Agatha Christie : je ne l’avais pas du tout vu venir (mais il faut dire que j’ai très peu d’expérience de ce genre de roman).
La qualité des romans de Christie est aussi leur défaut : tout tourne autour de l’enquête et des éléments possiblement utiles à sa résolution, de sorte que l’écriture est par ailleurs très, très dépouillée. Pas question de prendre le temps de décrire le monde et les personnages autrement qu’à travers des fragments d’information susceptibles de nourrir une piste policière. C’est dommage, mais c’est un choix esthétique cohérent de la part de Christie : ses romans sont comme des mécanismes et, en dépit du temps, ils restent bien huilés.
P.S. : J’ai tenté de ne pas imaginer Hercule Poirot avec le visage de David Suchet pendant ma lecture. Je n’ai pas réussi. Cet acteur incarne trop bien le personnage !
J’ai d’abord posté cet avis sur le forum Le Coin des lecteurs le 23 septembre 2017 avant de le modifier pour le reposter ici.