[Film] Retour sur… « Centurion », de Neil Marshall

Référence : Centurion, réalisé par Neil Marshall, produit par Celador Productions, Royaume-Uni, 97 minutes, 2010.

Je poursuis ma série d’été sur les péplums des années 2000-2010. Après Alexandre et Agora, voici de nouveau un film à base historique, et de nouveau une approche légèrement différente de ce qui s’était fait jusque là. J’avais consacré un premier billet « à chaud » à Centurion en 2012 ; j’y reviens à l’occasion de cette série de billets, pour une analyse avec plus de recul. Ici, ce n’est pas la reconstitution qui prime, pour la bonne raison que le scénario du film se fonde sur une légende de l’Histoire elle-même née d’une énigme (résolue depuis) : l’absence de toute trace de la neuvième légion romaine, la Legio IX Hispana, après l’année 117 apr. J.-C. En réalité l’existence de cette légion est encore attestée au cours des années suivantes, mais à une époque les historiens se demandaient ce qu’elle avait bien pu devenir, et l’imagination des artistes s’est à raison emparée de cet excellent sujet de fiction.

Aussi bien le réalisateur, Neil Marshall, ne prétend-il nullement avoir tourné un film historique, mais simplement un film d’action et d’aventure librement inspiré de ce sujet. Dans le film, la neuvième légion romaine est en réalité vite expédiée : elle est massacrée au cours d’un guet-apens (à coups de boules enflammées, comme dans Troie : copie ou source commune ?) par des Pictes, un peuple écossais vivant au delà du mur d’Hadrien alors en cours de construction (du moins dans le film, car en réalité son édification ne commence que quelques années après, en 122). Plutôt que le destin d’une légion entière, c’est celle d’une poignée de survivants romains, dont le centurion du titre, qui intéresse Marshall : le film relate leur périlleux retour vers la frontière de l’empire, dans un pays de nature sauvage, et la chasse à l’homme que mène contre eux une troupe de Pictes implacables menés par une cheftaine assoiffée de vengeance.

Neil Marshall s’est fait connaître par ses films d’horreur, plus précisément de survival horror (un groupe d’humains paniqués doit rester en vie malgré la menace de [insérez ici quelque chose d’horrible]). On pouvait donc craindre un film dans la lignée de 300 de Zack Snyder (dont je parlais dans un précédent billet), avec une Antiquité fantasmée et une complaisante dans la violence… mais ce n’est nullement le cas. De la violence, certes, il y en a, mais elle n’est pas du tout filmée de la même façon, ni présentée de la même façon. Nul paysage lourdement retouché, nul ralenti sur les gerbes de sang, nulle musique de heavy metal : seulement des combats réalistes, dont la brutalité est montrée crûment mais n’est en rien exaltée. Si les Spartiates de 300 sont nés pour la guerre et semblent prendre leur pied dans la mêlée, tel n’est pas le cas des légionnaires romains de Centurion. Ils ont faim, froid, sommeil, ils veulent rentrer chez eux et sont terrifiés par la menace omniprésente des Pictes qui connaissent parfaitement ce pays inconnu d’eux, où ils vont mourir les uns après les autres. Bien sûr, il n’y a pas plus de façon de filmer neutre que de style neutre en écriture, mais la réalisation s’en tient, il me semble, aux conventions du film d’aventure, en s’autorisant seulement quelques moments épiques, notamment dans la virtuosité du combat final.

L’essentiel du film tient dans cette chasse à l’homme où les Romains, pour une fois, sont les victimes traquées. Les quelques personnages principaux sont campés clairement, mais sans atteindre des profondeurs psychologiques faramineuses. C’est davantage la cohérence du scénario, ainsi que son dénouement bien trouvé, qui font la qualité du film malgré ses ficelles classiques. Le contexte historique n’est jamais détaillé ni rappelé avec assez d’insistance pour ancrer vraiment l’intrigue dans son époque précise : l’histoire aurait facilement pu prendre place ailleurs, à une autre époque, ou même dans un univers de fantasy. C’est une aventure bien menée, qu’on regarde comme on lirait un (bon) album de Thorgal. Enfin, sans être atteindre la complexité d’Agora (dont je parlais ici il y a quelques semaines), le film contient des éléments de réflexion politique : les vicissitudes d’une puissance impérialiste aux prises avec un peuple recourant à la guérilla peuvent faire penser aux problèmes de la guerre américaine en Irak au moment de la sortie du film ; et, plus généralement, le dénouement amer de l’intrigue montre les valeurs du centurion se heurtant au cynisme du pouvoir qu’il a si âprement défendu.

Si la distribution du film est inégale (Olga Kurylenko en chasseuse picte ne se distingue pas exactement par ses qualités d’actrice), il est porté par son excellent acteur principal, Michael Fassbender, qui confère tout du long une crédibilité parfaite au centurion Quintus Dias. La musique, enfin, est très honorable.

Lors de sa sortie en salles, le film a été méprisé par la critique britannique et à peu près ignoré par la critique française : à tort, car il offre une aventure honnêtement menée et nettement moins prétentieuse que beaucoup de grosses productions aux scénarios autrement plus inanes.

Dans le même genre…

Sur le même sujet, vous lirez avec intérêt le roman pour la jeunesse britannique L’Aigle de la neuvième légion (The Eagle of the Ninth) de Rosemary Sutcliff, paru en 1954. Ce roman a d’ailleurs été adapté au cinéma par Kevin Macdonald en 2011, un an après Centurion. Bien que traitant de sujets proches, les deux films développent des intrigues et des ambiances bien distinctes : L’Aigle de la neuvième légion fait davantage alterner l’action avec l’exploration et montre plus en détail la société romaine, du moins dans sa première moitié, tandis que la seconde s’oriente plus franchement vers le film de vétérans et le thème de la survie, ce qui le rapproche de Centurion sans pour autant atteindre une atmosphère aussi sombre. Les deux films présentent un intérêt à mes yeux, L’Aigle possédant les avantages d’être visionnable par un public plus large (de jeunes adolescents, par exemple) et de tordre davantage le coup aux archétypes du militaire romain de péplum.

Si vous cherchez un roman mettant en scène l’armée romaine et qui se rapproche de l’ambiance angoissante de Centurion, je vous conseille Furor de Fabien Clavel, où une armée romaine explore une contrée apparemment maudite jusqu’à découvrir un étrange bâtiment dont vous comprendrez la nature bien avant les personnages… ce qui vous surprendra mais ne sera pas pour vous rassurer.

Enfin, si vous êtes rôliste, plusieurs jeux de rôle sur table proposent d’incarner des légionnaires (ou plus généralement des militaires) romains. Du côté des créations françaises, citons Praetoria Prima de Sébastien Abellan, paru aux éditions Icare en 2008 et où l’on incarne des membres d’une section secrète de la garde prétorienne chargés de remplir des missions de confiance pour l’intérêt de l’empire. Du côté des Etats-Unis, citons le supplément Weird Wars Rome , motorisé par le système Savage Worlds, où l’on joue de gentils militaires romains confrontés à toutes sortes de méchants étrangers sorciers et de créatures maléfiques aux frontières de l’empire (ce n’est pas moi qui force le trait, c’est le jeu qui recherche une ambiance pulp). Le premier m’a mieux convaincu que le second, mais présente le défaut de n’être trouvable que d’occasion à l’heure où j’écris ces lignes ; je lui souhaite de bénéficier d’une réédition un jour, car il présentait un beau potentiel.

J’ai d’abord publié ce billet sur le blog « Dans l’univers universitaire » le 24 décembre 2011 avant de le remanier pour le republier ici.

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