Odile Weulersse, « Le Secret du papyrus »

Référence : Odile Weulersse, Le Secret du papyrus, Paris, Hachette jeunesse, 1998 (lu dans une réédition au Livre de poche jeunesse, 2001).

Quatrième de couverture de l’éditeur

« Une nouvelle mission s’offre à Tétiki : rapporter à Pharaon une pierre bleue très rare. Accompagné de ses amis Pénou (sic) le nain danseur, et Didiphor, le singe, il prend le chemin du désert… sans se douter que, dans l’ombre, des espions ne le quittent pas des yeux…

La célèbre trilogie d’Odile Weulersse, composée de : Les Pilleurs de sarcophagesLe Secret du papyrus – Disparition sur le Nil, s’est vendue à plus d’un million d’exemplaires. »

Mon avis

Ah, la faute d’accent sur le quatrième de couverture (« Pénou » alors que le nom du nain danseur est « Penou »)… et puis cette mention troublante : « Tome 2 », sous le titre, qui sème la confusion en laissant croire que Le Secret du papyrus serait formé de deux tomes, alors qu’il aurait fallu indiquer plus clairement : « tome 2 de la trilogie égyptienne ». Une relecture de plus n’aurait pas nui à ce quatrième de couverture ! Heureusement, le texte, lui, est bien relu, la reliure semble solide, et tant la couverture que les illustrations intérieures sont également de qualité tout à fait honorable.

Le Secret du papyrus est donc un roman historique pour la jeunesse situé en Égypte ancienne. Il peut être lu de manière autonome, mais on en profite mieux si on le lit après Les Pilleurs de sarcophages, dont il forme la suite et dont il reprend les principaux personnages. Ayant relu et chroniqué ici Les Pilleurs… il y a quelques semaines, je me suis plongé dans ce deuxième volume. Que vaut donc cette suite ?

Si Les Pilleurs de sarcophages se déroulait dans un nombre de lieux restreint (Éléphantine, Thèbes et la « vallée des nobles », actuelle Dra Abou el-Naga), le voyage forme le thème principal du Secret du papyrus. Byblos, le désert, la prestigieuse Babylone et la ville assiégée de Sharouhen, autant de destinations prestigieuses situées hors d’Égypte que Tétiki, Penou et le singe Didiphor vont découvrir au fil des pages dans une véritable petite odyssée terrestre. Le moins que l’on puisse dire est que le roman est riche en événements : l’intrigue est extrêmement dense, ce qui, de mon point de vue de lecteur adulte, donne presque l’impression de regarder une vidéo en accéléré, tant les situations se nouent et se dénouent rapidement, laissant place à de nouvelles destinations. Je préfère les romans qui prennent davantage le temps de décrire les lieux, de poser les scènes, d’installer une ambiance, avant de passer à la suite. De toute évidence, Weulersse, volontairement ou non, réduit les descriptions à la portion congrue – sans pour autant y renoncer tout à fait : même quand il n’y a que deux phrases ou trois mots pour brosser un paysage, les détails typiques de l’époque abondent, ménageant un dépaysement efficace, lui-même visiblement fondé sur un travail de documentation sérieux. Pour peu qu’on se contente de quelques mots pour imaginer le résultat, les paysages sont variés et grandioses. L’intériorité des personnages, sans passer à la trappe, m’a paru plus inégalement développée que dans le roman précédent, du moins pour ce qui concerne Tétiki, lequel, moins tourmenté que dans Les Pilleurs de sarcophages, paraît plus plat à côté de Penou et de Rouddidite.

Je me demandais comment Weulersse allait se renouveler pour un deuxième roman égyptien après Les Pilleurs de sarcophages, qui abordait les sujets les plus connus du grand public en matière d’Antiquité égyptienne, à savoir les tombes, les momies et le rapport à l’au-delà. Le renouvellement est complet en matière de décors et de types de dangers affrontés, puisqu’il n’est plus du tout question de tombeaux ou de momies dans Le Secret du papyrus, mais plutôt de diplomatie internationale, de commerce et, en filigrane, de rencontres entre les cultures. Avec, en prime, une évolution des deux héros, puisque Penou découvre l’amour. Quant aux ennemis mémorables du premier volume, ils sont de retour avec des rôles répartis différemment : tandis qu’Antef était le principal antagoniste de Tétiki dans Les Pilleurs…, c’est ici Makaré qui prend une importance beaucoup plus grande. Je ne serais pas surpris d’apprendre que l’écrivaine nourrit une certaine affection pour ce personnage retors et redoutablement doué, dont l’histoire et la famille, inconnues jusque là, se trouvent développées et utilisées pour le cœur de l’intrigue. Le fait est que Makaré forme une solide « méchante », et chacun sait que c’est un ingrédient essentiel pour un roman d’aventures réussi.

Mais à côté de ces personnages déjà connus des lecteurs des Pilleurs…, un nouveau personnage principal très marquant apparaît dans Le Secret… en la personne de Rouddidite, adolescente comme nos héros. Rouddidite apporte un rééquilibrage bienvenu en ajoutant un personnage féminin au duo des personnages principaux, qui devient un trio. Son défaut est de cumuler un peu trop de qualités à la fois (beauté, agilité, ruse, souplesse, moralité sans faille…), ce qui fait penser à un travers que nos amis anglophones appellent la « Mary Sue » (on consultera à ce sujet l’article du site TV Tropes si vous maîtrisez la langue de Star Trek). J’ai cependant trouvé son personnage bien intégré aux autres et l’intrigue qui la concerne bien ficelée.

Outre ces personnages principaux, des personnages secondaires variés ponctuent le voyage de Tétiki et Penou, mais pas en nombre excessif, ce qui ménage une lecture pas trop ardue aux jeunes lecteurs et lectrices qui auraient du mal à s’y retrouver avec des intrigues contournées. La structure de l’intrigue, sous forme de voyage aux étapes bien marquées, devrait également leur faciliter la compréhension du livre. La carte géographique, bien faite, fournie au début du roman ne sera tout de même pas de trop pour bien situer les différents lieux de l’intrigue.

L’habileté de Weulersse à tirer parti de sa documentation sur l’époque mise en scène ressort une nouvelle fois dans ce deuxième opus des aventures de Tétiki et Penou. J’ai apprécié le comportement des personnages, guidé par les croyances de l’époque (la consultation du kâ, la foi dans les dieux, dans les ancêtres et dans le pouvoir prémonitoire des rêves) ; la mise en scène de détails du quotidien qui montrent tout l’écart entre ce passé et notre présent (notamment la médecine antique qui a de quoi nous faire ouvrir des yeux ronds – sujet que je me souviens d’avoir aussi croisé dans Tumulte à Rome, autre roman de Weulersse) ; l’insertion des voyages de Tétiki et Penou dans la diplomatie complexe du Proche-Orient ancien où l’Égypte est à cette époque une puissance réémergente ; et la mise en scène d’innovations récentes à l’époque d’Ahmôsis Ier, comme l’utilisation de chars de guerre ou encore… les chevaux, eux aussi apportés en Égypte par les Hyksôs, mais utilisés jusque là par les Égyptiens comme animaux de bât pour tirer les véhicules et non comme montures. L’économie sans monnaie est également mise en scène dans plusieurs passages : il n’y a ni pièces, ni billets, tout repose sur le troc d’objets plus ou moins volumineux et précieux. Enfin, le jeune âge de nos héros n’est jamais oublié et constitue un obstacle en soi pour plusieurs de leurs démarches. Là encore, la façon dont ils se tirent d’affaire prend soin de rester à peu près crédible pour la société de l’époque (notamment grâce à l’aide de personnages adultes).

On pourra trouver à bon droit certains passages un peu clichés, en particulier ce qui concerne les Bédouins. L’élevage de moutons, la razzia, l’affabilité et les négociations commerciales, tout cela pourrait se passer facilement des siècles après, dans d’autres régions. Oui, mais… c’est assez normal, dans la mesure où la documentation sur les populations nomades des steppes de Syrie au XVIe siècle avant J.-C. reste très limitée ! Il en va de même de l’histoire politique de la vallée de l’Euphrate et de Babylone, que nos héros explorent dans ce roman : particulièrement embrouillée et mal connue dans le détail, quelque part entre l’invasion hittite et la mise en place de la dynastie kassite, cette période demeure passionnante à faire connaître à un vaste public, et Weulersse y case allègrement tout ce qu’on peut à peu près en savoir, des costumes à la religion jusqu’à la fameuse ziggourat (déjà construite à ce moment, selon toute probabilité). Pour ma part, je préfère largement un roman qui invite le lectorat à s’aventurer en esprit dans ces lieux et périodes encore peu mises en valeur auprès du grand public, en s’affrontant vaillamment aux limites de la documentation, plutôt que des romans qui se contenteraient de ronronner sur les périodes les mieux documentées et les plus vendeuses. Creuser la part de documentation de ce roman à l’occasion de ce billet de blog m’a montré toute la difficulté qu’a dû poser son écriture et m’a fait apprécier l’ambition louable d’Odile Weulersse de faire découvrir à son lectorat des périodes moins connues du grand public.

La mise en scène de l’époque trouve ses rares limites dans l’opposition assez simpliste entre « gentils » Égyptiens et « méchants » Hyksôs qui essaient d’envahir et de dominer l’Égypte. Comme je l’ai montré dans ma chronique des Pilleurs de sarcophages, il s’agit d’une vision des choses influencée par le discours des auteurs égyptiens antiques sur cette période, mais que les découvertes archéologiques ont conduit à nuancer fortement. Encore ce reproche est-il moins valable pour Le Secret du papyrus que pour Les Pilleurs…, puisqu’on y découvre un personnage qui, quoique hyksôs, va passer du côté de nos héros… en un retournement d’une subtilité moyenne, mais bien justifié dans l’intrigue.

D’autres détails semblent relever davantage d’une commodité scénaristique, comme la « fleur qui fait aimer », qui m’a davantage rappelé le philtre d’amour de Tristan et Yseut que l’Égypte antique, mais qui s’insère très bien dans l’imaginaire égyptien antique où les plantes forment des remèdes puissants, souvent à la limite de la magie. Comme souvent avec le surnaturel chez Weulersse, l’ambiguïté est savamment ménagée, de sorte qu’on peut considérer que ce sont les personnages qui s’autopersuadent de l’efficacité magique de tel ou tel expédient. Une autre ficelle narrative, assez voyante dès qu’on lit plusieurs romans de Weulersse, est le coup du héros accusé injustement et qui doit se disculper en faisant éclater lui-même la vérité. Je crois que cette situation dramatique typique doit figurer dans à peu près tous les romans de Weulersse que j’ai lus jusqu’à présent ! (Mais je suis loin de les avoir tous lus.) Moins grave, mais amusant à lire d’un point de vue méta : la présence bien pratique d’un vieillard qui conseille à plusieurs personnages d’aller à un même endroit, et dont le conseil est aveuglément suivi par tous ces personnages, alors que ce type n’est qu’un inconnu croisé dans la rue. Mais l’intrigue doit avancer vite et ne peut sans doute pas s’autoriser les détours, et donc les pages supplémentaires, qu’un roman pour adultes aurait le temps de prendre pour mieux ménager la vraisemblance. Enfin, le titre même du roman, Le Secret du papyrus, m’avait fait attendre une affaire de message crypté à déchiffrer ou de manuscrit ancien : il n’en est rien, et, bien qu’il ait une certaine importance dans l’histoire, le papyrus reste un élément assez discret par rapport à ce que le titre semblait annoncer. Un titre comme La Quête du lapis-lazuli aurait été plus approprié.

En dépit du sérieux global de l’intrigue, Weulersse n’oublie pas non plus l’humour et un certain sens du « méta » qui offre un regard plus ludique sur l’intrigue. C’est par exemple le cas de l’intervention de la harpiste Nofret, qui apparaît peu, mais de manière décisive, et qui émet à la fin du livre une remarque qui semble s’adresser au lectorat, comme pour dire : « Et vous, aviez-vous prévu que cela se terminerait de cette façon ? » Dans une moindre mesure, la scène de poursuite avec Didiphor à Babylone m’a irrésistiblement fait penser à une allusion à King Kong, mais c’est peut-être le fait de savoir que Weulersse a fait des études de cinéma avant de devenir romancière qui me fait penser à ça.

Les illustrations intérieures de Bruno David sont de bonne facture et mettent en valeur, d’une part les costumes et coiffures antiques, d’autre part le suspense (plusieurs illustrations sont scindées en deux cases, d’une manière qui évoque un storyboard de cinéma). J’ai été étonné de constater qu’elles présentent toutes une sorte de texture granuleuse, comme des nuages de sable superposés à l’image et qui ne sont parfois pas à leur place (dans l’illustration de la tempête de sable, ça va, mais pour l’entrevue au palais…). J’en suis à me demander s’il ne s’agit pas d’un problème à l’impression.

En somme, Le Secret du papyrus est un roman d’aventures plaisant, au rythme effréné, qui ménage une grande promenade dans le Proche-Orient antique et parvient à se renouveler suffisamment pour maintenir l’intérêt, y compris quand on a lu Les Pilleurs de sarcophages. La trilogie se clôt quelques années après avec Disparition sur le Nil, dont je vous parle dans cet autre billet.

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