Markoosie Patsauq, « Kamik. Chasseur au harpon »

Référence : Markoosie Patsauq, Kamik. Chasseur au harpon, texte établi et traduit de l’inuktikut par Valerie Henitiuk et Marc-Antoine Mahieu, La-Roche-sur-Yon, Dépaysage, 2020 (première édition : ᐊᖑᓇᓱᑦᑎᐅᑉ ᓇᐅᒃᑯᑎᖓ, Uumajursiutik unaatuinnamut, Canada, 1968).

Quatrième de couverture de l’éditeur

« Quelque part au nord du monde. Le froid, la faim. Un campement attaqué, des chiens éventrés. Un ours devenu fou. L’expédition punitive tourne mal, le sang rougit la banquise. Un jeune chasseur armé d’un simple harpon se retrouve seul à suivre les traces du redoutable carnassier. Mais en vérité, qui traque qui ?

Rédigé dans une langue sobre, d’une rare intensité, Kamik est l’histoire cruelle de cette chasse au long cours, à la fois haletant récit d’aventures et quête initiatique. C’est aussi le tout premier roman publié par un Inuit du Canada, un geste d’une portée historique et sociale considérable. Traduit fidèlement depuis l’inuktitut, Kamik est un classique de la littérature autochtone nord-américaine.

Markoosie Patsauq est un écrivain inuit du Canada, né en 1941 dans la toundra près d’Inukjuak (Nunavik), au sein d’une famille semi-nomade, à une époque où le mode de vie traditionnel est encore possible. Il devient pilote d’avion, se fait connaître dans le monde entier par ses textes de fiction et ses autres écrits, puis joue un rôle politique en tant que leader communautaire. Il est décédé en mars 2020.

Le texte original, en inuktitut, a été établi puis traduit par Valerie Henitiuk (université Concordia à Edmonton) et Marc-Antoine Mahieu (Inalco).

La préface, le cadrage critique et le mot de l’auteur ont été traduits de l’anglais au français par Charles Gounouf.

Les illustrations des première et quatrième de couverture sont l’œuvre de l’artiste Olivier Mazoué. »

Mon avis

Si, comme moi, vous ne connaissez rien à la littérature inuit contemporaine et que vous avez envie de la découvrir, Le Chasseur au harpon de Markoosie Patsauq est un grand classique. Cette réédition a l’avantage de former une traduction plus fidèle à l’original et d’être présenté par des spécialistes de ce domaine, le tout joliment présenté dans un format pratique (plus grand que du poche, mais légèrement plus petit que du A5). J’ai découvert au passage les éditions Dépaysage, dont les publications, liées aux cultures autochtones et à l’anthropologie, ont l’air diablement intéressantes. Bref, j’ai acheté le livre en confiance, et j’y ai trouvé tout ce que j’y cherchais : une bonne remise en contexte, une présentation de l’auteur et par l’auteur (puisqu’un mot de l’auteur figure en tête du livre) et le récit lui-même. Pas de scories de style ni de fautes d’orthographe. La mise en page est claire, la reliure solide. Naturellement, je ne suis pas en position de donner un avis sur la traduction depuis l’inuktikut, mais, pour tout ce dont je peux juger, c’est une édition de qualité. La seule chose que je n’ai pas bien comprise, c’est la raison qui a poussé le traducteur ou l’éditeur à ne faire figurer en couverture que le titre Kamik alors que le titre original (comme l’indique l’introduction elle-même) semble être Le Chasseur au harpon ; mais ce n’est pas bien méchant.

J’avais découvert l’imaginaire inuit par des recueils de contes et de légendes, qui m’avaient frappé par leur aspect sombre. Les souffrances et la mort y figurent en bonne place… mais, réflexion faite, pas nécessairement plus que dans les mythes et légendes d’autres cultures géographiquement plus proches de mon pays, comme les mythologies grecque, romaine ou nordique. La dureté de certains thèmes abordés ressort simplement davantage lorsqu’on découvre l’histoire entièrement, plutôt que lorsqu’on y a été habitué peu à peu depuis l’enfance. Kamik, le Chasseur au harpon relate un destin qui, à mes yeux, pourrait être qualifié de tragique au sens que le théâtre grec donnait à ce mot, à cette différence que la notion de destin et les divinités n’y sont pas du tout convoquées. Nous ne voyons que des êtres humains aux prises avec un environnement âpre et à des passions humaines, dans un réalisme très terre-à-terre. Le premier auteur auquel je puisse penser pour vous donner une idée de l’ambiance de ce livre est Jack London, avec ses aventuriers livrés aux aléas des éléments et d’une faune sauvage. Mais la ressemblance a ses limites. D’abord, les personnages du Chasseur au harpon ne cherchent pas d’or ou de gloire : ils cherchent simplement à survivre, chez eux et dans les environs, et c’est en cherchant seulement à se nourrir au quotidien qu’ils encourent des périls mortels. Ensuite, on ne trouve pas, chez Kamik, les généralisations théoriques sur la survie du plus fort ou sur le retour à la vie sauvage qu’on croise abondamment dans les pages de L’Appel de la forêt.

Le style, surtout, s’avère très différent. Il donne l’impression d’un texte écrit par un auteur n’ayant aucune culture littéraire commune avec la plupart des auteurs actuels. C’est ce qui peut le rendre déroutant, mais c’est aussi ce qui fait son originalité et, dans une certaine mesure, sa force. Le Chasseur au harpon peut s’avérer une expérience de lecture déceptive et non pas décevante, c’est-à-dire qu’elle peut amener une déception chez quelqu’un qui ne pourrait ou ne voudrait pas surmonter la simplicité apparente de son style. Mais cette simplicité sert si bien l’intrigue, elle exprime si pleinement, en creux, la conception de la vie que l’auteur veut mettre en avant, qu’elle permet au récit d’atteindre à une épure impressionnante, qui m’a parfois rappelé certaines épopées.

Le Chasseur au harpon est un récit relativement court, quelque part entre la novella et le court roman. Ce format, ainsi que la limpidité de son style, en font une porte d’entrée commode dans la littérature inuite. Je ne connais pas encore d’autres auteurs inuits ou des peuples voisins des inuits, mais, dans le même genre, je peux vous recommander de vous intéresser aux contes et aux légendes inuites. Un bon ouvrage pour commencer, accessible à un jeune public autant qu’aux adultes, est Grand Nord. Récits légendaires inuit de Jacques Pasquet, paru aux éditions Hurtubise, collection « Atout », en 2004. Sous un format petit et pratique, il regroupe une douzaine de récits groupés en trois thèmes : le monde des origines, les liens entre les humains et le monde animal, et les liens avec le monde des esprits, les géants et les nains. Du côté du cinéma, même s’il ne s’agit apparemment pas d’un mythe « authentique » mais d’un scénario qui s’en inspire librement, je ne saurais trop vous recommander le petit bijou qu’est le film d’animation L’Enfant qui voulait être un ours, réalisé par Jannick Astrup en 2001. Les graphismes s’inspirent dans une certaine mesure des arts inuits, le scénario est bien ficelé et la musique a été composée par un Bruno Coulais en pleine forme.

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