[BD] « Papyrus », par Lucien De Gieter (33 albums)

24 avril 2023

Référence : Lucien De Gieter (dessin et scénario), Papyrus,Charleroi (Belgique), Dupuis, 1974-2013, 33 albums (série terminée).

L’histoire en deux mots

Papyrus est un jeune paysan qui vit en Égypte ancienne, au temps du pharaon Mérenptah. À la suite de sa première aventure, Papyrus se retrouve mêlé aux projets des dieux d’Égypte pour la fille du pharaon, Théti-Chéri. Il en devient l’ami, et même, au fil du temps, plus que ça. Grâce à son glaive magique et à son grand courage, Papyrus affronte bien des dangers en Égypte et dans tout le monde antique et jusqu’aux confins du monde divin.

Mon avis

Cette bande dessinée est pour moi un classique de la BD d’aventure historique et fantastique pour la jeunesse. Chaque album peut se lire indépendamment (même la trilogie « L’Odyssée de Papyrus » se compose d’aventures qui, dans l’ensemble, sont compréhensibles isolément).

La série oscille entre un cadre historique réaliste, avec des planches de reconstitution à tomber par terre au niveau des bâtiments et des costumes, et des éléments beaucoup plus fantastiques empruntés aux mythologies, mais avec une belle documentation derrière, ce qui fait qu’on reste plus dans l’historico-fantastique que dans la fantasy pure… du moins en général, car cela dépend des albums. Après être un peu passé à côté de la série dans ma jeunesse (je n’en avais lu que deux tomes), j’ai découvert le reste avec délice en médiathèque, et j’en profite encore mieux une fois adulte, puisque je vois tout le travail de documentation, de scénario, de dessin qu’il y a derrière.

La série s’est arrêtée il y a quelques années après pas moins de 33 tomes, par la volonté de l’auteur qui avait alors près de 80 ans. J’espère qu’une intégrale de la série paraîtra un jour, car elle le mérite. En attendant, j’ai lu toute la série en médiathèque (merci les médiathèques !). Au fil de mes lectures, j’ai laissé ci-dessous des avis de quelques lignes pour chaque album jusqu’au trente-troisième. Certains albums sont plutôt historiques et réalistes, d’autres franchement merveilleux. Certains sont effrayants, d’autres donnent plus dans la comédie. J’espère que mes avis vous aideront à vous orienter au sein de cette superbe série.

1. La Momie engloutie. Papyrus n’est qu’un petit paysan parti pêcher sur le Nil, lorsqu’il se trouve entraîné par le courant dans une forêt périlleuse. Au cœur de cette forêt, il découvre la momie engloutie du titre, qui n’est autre que Théti-Chéri, la princesse royale, fille de Pharaon. A eux deux, ils vont devoir batailler pour que Théti-Chéri revienne saine et sauve au palais royal. C’est au cours de ce premier album qu’on voit se mettre en place les bases de la série : les deux personnages principaux ainsi que le glaive magique de Papyrus, « toujours à la mesure de son courage ». Les épreuves qu’ils doivent affronter relèvent du merveilleux (il y a encore très peu d’éléments historiques).

2. Le Maître des trois portes. Le Nil se tarit, menaçant de laisser dépérir tout le pays. Papyrus et Théti-Chéri remontent le cours du fleuve pour tenter de découvrir l’origine du problème. Bien vite, ils sont confrontés à un ennemi puissant, et doivent se risquer au cœur de la montagne.
Waouh ! Pour voir que ce n’est que le deuxième album de la série, il met la barre très haut. Une aventure épique, du mystère, de l’exploration, un ennemi puissant et très classe, des décors très « fantasy » mais grandioses, et un suspense haletant tout du long… J’ai bien du mal à trouver des défauts à cet album. Simplement, la part de documentation historique reste restreinte : De Gieter récupère quelques éléments épars pour mieux inventer ses propres factions, décors et créatures, qui paraîtront donc parfois trop « carton-pâte » aux vétilleux qui chercheraient de la fiction historique pure. Mais c’est tellement bien dessiné et bien ficelé que je ne m’en formaliserai pas, et les quelques éléments directement empruntés à l’histoire et aux mythes égyptiens sont habilement utilisés (mention spéciale à l’identité du Grand Méchant). Ajoutons que l’album m’a fait penser tantôt à Thorgal (pour l’aspect fantasy épique) et tantôt à… Blake et Mortimer, à cause de son recours fréquent aux explications narrées en « voix off », mais aussi à cause de son ennemi doté de pouvoirs magiques qui font parfois furieusement penser à de la science-fiction rétro.

3. Le Colosse sans visage est une belle aventure basée sur la mythologie mais très orientée fantasy, un brin kitsch par ci par là, avec un Papyrus qui en bave pas mal et une épreuve où Théti-Chéri a la grande classe (même si la scène a un côté « pin-up »). Il s’en dégage une atmosphère de merveilleux premier degré et dépaysant vraiment savoureuse. Mais les personnages et les lieux restent en bonne partie de pures inventions de De Gieter, contrairement à ce qu’il fera quelques albums après.

4. Le Tombeau de pharaon prend directement la suite de l’album précédent. Après leur quête sur l’île des dieux, Papyrus et Théti-Chéri s’en retournent chez eux… pour découvrir que plus personne ne les reconnaît et qu’un inconnu est monté sur le trône de pharaon. Dix ans se sont écoulés et la famille de Théti-Chéri est morte… Nos deux héros vont avoir fort à faire pour inverser ce terrible sort réservé aux parents de Théti-Chéri, sur lesquels on en apprend davantage dans cet album. C’est toujours plein de magie, avec un combat mémorable entre Papyrus et le cobra de pharaon, sans oublier l’apparition des terribles lutins au nom imprononçable, les Chtiquechtaquelaguelacs !

5. L’Égyptien blanc. Tout semble rentré dans l’ordre pour Théti-Chéri et Papyrus, jusqu’au jour où, pendant une partie de chasse sur le Nil, ils tombent sur un Chtiquechtaquelaguelac inanimé. Décidément héros au grand cœur malgré les avanies que leur ont fait subir les maudits lutins dans sa précédente aventure, Papyrus et Théti-Chéri décident de ramener le malheureux chez lui. C’est le début d’une aventure où l’on en apprend davantage sur ce curieux peuple et sur la vallée où il vit. Mais le cœur de l’intrigue est formé par une réapparition de la déesse aux cheveux resplendissants, celle qui a donné son glaive à Papyrus dans sa toute première aventure. Et le dieu crocodile Sobek n’est pas loin.
C’est encore une aventure très « fantasy », avec énormément de magie et de métamorphoses et peu voire pas d’éléments historiques. Cet album-ci m’a paru un peu plus décousu dans ses péripéties au début, mais les choses s’améliorent dès lors qu’il est question de la vallée maudite. Le thème de la malédiction collective avait déjà été abordé dans Le Colosse sans visage, mais il y a assez de différences pour que celui-ci conserve un intérêt.

6. Les Quatre Doigts du dieu Lune. Retour aux intrigues politiques et religieuses avec cet album centré sur le temple de Thot, où il se passe de bien étranges choses avec un prêtre figé dont on ignore s’il est mort ou vivant. Il y a des interventions divines derrière tout cela, c’est certain… mais Papyrus a fort à faire pour tirer l’affaire au clair, entre le garçon Hapou toujours aussi illuminé et le frère de Pharaon qui tire prétexte des événements pour instaurer la loi martiale et, de facto, prendre le pouvoir !
Cet album introduit un personnage récurrent des aventures suivantes : Imhoutep, l’architecte unijambiste. On y rencontre aussi une belle brochette de voleurs qui vient renouveler les types de personnages explorés par la série. Théti-Chéri n’y joue qu’un rôle très effacé, ce qui est dommage.

7. La Vengeance des Ramsès. Décor grandiose et scènes spectaculaires sont au programme de cet album, qui se déroule entièrement dans le temple d’Abou-Simbel, connu pour ses quatre colosses assis. De Gieter reconstitue avec minutie le temple et ses différentes salles, pour mieux emmener Papyrus et Théti-Chéri dans des endroits secrets et, bien sûr, déchaîner de puissants sortilèges. Le point fort de cet album réside dans ces reconstitutions superbes et dans la scène spectaculaire qui forme le cœur de l’intrigue. Au chapitre des regrets, les deux héros ne font finalement pas grand-chose et semblent plutôt spectateurs de l’action, même si Théti-Chéri y est finalement plus dégourdie que Papyrus.

8. La Métamorphose d’Imhotep. Après La Vengeance des Ramsès qui avait injecté une dimension historique plus grande dans les aventures de Papyrus et de Théti-Chéri, La Métamorphose d’Imhotep me paraît atteindre l’équilibre idéal. Nos héros y évoluent à nouveau parmi des décors grandioses, bien réels et finement reconstitués (la pyramide à degrés de Djoser à Saqqarah, qui est la toute première pyramide éqyptienne). La magie est toujours présente, mais se trouve mieux reliée à la fois à la mythologie égyptienne et à l’Histoire, via la figure d’Imhotep, architecte de Djoser déifié après sa mort. Complots et fourberies côtoient des scènes d’action et d’exploration qui diversifient les péripéties et relancent constamment le suspense.
Bref, c’est une grande réussite à mes yeux, qui donne l’impression que la série atteint son rythme de croisière avec cet album. Et c’est aussi une aventure tout indiquée pour découvrir (ou faire découvrir) la série, si vous voulez directement commencer avec des dessins magnifiques.

9. Les larmes du géant. Anitti, une princesse hittite, une adolescente de l’âge de Papyrus et de Théti-Chéri, a été offerte comme épouse à Pharaon, qui se contentera de l’accueillir comme sa fille. Nos héros, accompagnés du jeune architecte Imhoutep, sont chargés d’aller au-devant de la princesse. Mais les ambitions d’un homme de l’ombre, et un redoutable secret technologique qui pourrait changer le destin de toute la région, vont changer cette rencontre diplomatique en point de départ d’une aventure périlleuse.
Secrets religieux et techniques, passages secrets et souterrains, complots, traquenards, combats et fuites éperdues : voici de nouveau un album riche en rebondissements, à l’intrigue particulièrement inspirée puisqu’elle s’enracine directement dans l’histoire des technologies antiques. Quant au décor, ici encore, il est grandiose : le temple des millions d’années d’Amenhotep III, dont les deux seuls vestiges actuels sont les colosses que les Grecs surnommaient « colosses de Memnon », deux gigantesques statues de pharaons assis. Le temple étant mal connu dans ses détails, De Gieter a toute liberté pour en imaginer l’architecture et les salles secrètes.
L’album se distingue par une intrigue particulièrement sombre (pour du Papyrus), dont la tonalité n’est parfois pas loin de la tragédie. De Gieter devait savoir qu’une bonne histoire n’est rien sans un « méchant » réussi, parce qu’une fois de plus, Papyrus et Théti-Chéri sont confrontés à des adversaires retors. Autre particularité de cet album : le merveilleux y est finalement très discret, ce qui fait d’autant plus ressortir les machinations des humains. Égypte ancienne oblige, la religiosité reste présente à chaque case. Le résultat est une aventure qui rappelle parfois Alix ou Blake et Mortimer, tout en restant bien reconnaissable dans la série des aventures de Papyrus. La présence un peu plus insistante de la narration « en voix off » est sans doute aussi en partie à l’origine de cette impression.
Bien que l’album puisse se lire indépendamment, son intrigue se prolonge dans le tome suivant, La Pyramide noire.
Le dessin est somptueux, tout simplement : décors et costumes regorgent de détails, et la mise en case met parfaitement en valeur les rebondissements et les temps forts de l’histoire.

10. La Pyramide noire prolonge et clôt l’intrigue des Larmes du géant. Théti-Chéri, bien amochée par l’album précédent, n’est pas dans son état normal et Papyrus, accompagné d’une escorte dépêchée par Pharaon, tente de trouver un moyen de lui faire reprendre ses esprits. C’est l’occasion pour Papyrus d’explorer l’Afrique noire au-delà de la troisième cataracte du Nil. L’ensemble est habilement introduit par le retour d’un personnage secondaire introduit dans le tout premier album de Papyrus, et qui est ici largement approfondi et rendu plus réaliste. La comparaison entre les deux albums est d’ailleurs éloquente sur l’évolution de la série et sur sa plus grande maturité : on passe d’une aventure pulp sympathique mais entièrement « carton-pâte » à une intrigue où l’effort de documentation historique et de pédagogie est bien plus visible, même si on reste loin d’un documentaire. On voit ainsi apparaître les Noubas de l’actuel Soudan et des dialogues en swahili (sous-titré). Si les ficelles de l’intrigue restent parfois assez enfantines, l’aventure ne manque ni de souffle ni de rythme, et les personnages secondaires s’avèrent bien campés et bien mis en valeur. J’ai aussi apprécié, dans cet album, l’aspect imprévisible de Théti-Chéri, qui, problème de personnalité oblige, ne se comporte pas du tout comme d’habitude.

11. Le Pharaon maudit est beaucoup plus historique que les précédents, puisqu’il tourne autour d’Akhetaton, la capitale d’Akhénaton, le pharaon maudit en question, dont la mémoire a été bannie après son court règne. L’intrigue tourne vite à la traque angoissante dans une ville en ruines, aux prises avec une bande de pillardes déterminées et retorses. Les références à la famille d’Akhénaton sont très précises, et certaines cases sont du vrai docu-fiction avec le plan des ruines de la ville au temps de Papyrus et de Théti-Chéri. Il y a tout de même quelques ficelles d’horreur, et j’ai d’ailleurs été surpris de trouver dans cet album paru en 1988 des scènes d’horreur qui m’ont beaucoup rappelé des détails présents dans le film La Momie de Stephen Sommers sorti en 1997. Mais il y a sans doute une inspiration commune.

12. Dans le tome 12, L’Obélisque, Papyrus accompagne Théti-Chéri sur le chantier de deux obélisques qui doivent être livrés à Pharaon pour le temple de Deir el-Bahari. Mais les secrets de la construction et de l’acheminement des obélisques ont été fragilisés par la perte de nombreux papyrus, et une rivalité s’élève entre deux architectes sur la méthode à employer. Aménopé, choisi par Pharaon, est confronté à la jalousie tenace de Hori, qui fait tout pour provoquer son échec afin de récupérer la direction du chantier. Imhoutep, jeune architecte ami de Papyrus et de Théti-Chéri, va travaille sur le chantier et a toute confiance en Aménopé. Mais les incidents se multiplient, provoqués par toutes sortes de péripéties, y compris Hapou, ce garçon dont l’esprit est « ailleurs ».

C’est une nouvelle fois un album très documenté : l’auteur remercie deux historiens en fin d’album, dont Jean-Claude Golvin, dessinateur historique auteur de nombreuses reconstitutions de bâtiments. L’intrigue constitue quasiment un docu-fiction, puisqu’on y assiste à toutes les étapes de la conception, de la fabrication et de l’acheminement d’un obélisque jusqu’à sa destination. La rivalité entre architectes sert en partie à mettre en scène les différentes hypothèses des historiens sur le sujet, mais elle fournit aussi une réelle galerie de personnages vivants, qui vont donner du fil à retordre aux héros. C’est davantage un album orienté enquêtes et relations personnelles, en dépit de quelques moments d’action pour faire bonne mesure.

13. Le Labyrinthe commence de manière très historique avec une ambassade crétoise reçue par Théti-Chéri et une mission confiée par Papyrus envoyé en mission en Crète pour tenter d’éviter un incident diplomatique. Les reconstitutions des navires, des costumes crétois et de la vie en Crète minoenne sont tout bonnement magnifiques. L’utilisation faite du taureau d’Apis, avec sa légère dose de fantastique, m’a paru particulièrement habile. Puis nous basculons en pleine mythologie avec le fameux Labyrinthe… et enfin en pleine fantasy, puisque le Labyrinthe en question ainsi que son minotaure sont réinventés avec une belle originalité ! J’ai été particulièrement marqué par le concept imaginée par l’apparence du Labyrinthe, qui repose sur une idée simple et géniale.

14. L’Île Cyclope forme la suite directe du Labyrinthe et revisite à son tour un fameux mythe grec, d’une façon assez bizarroïde et parfois bien kitsch, mais avec là encore un bel effort d’originalité, entre explications géologiques et horreur « organique » (une sorte d’Il était une fois la vie version terrifiante !). Contrairement à l’album précédent, Théti-Chéri est elle aussi du voyage avec Papyrus dans leur exploration de la mer Égée.

15. L’Enfant hiéroglyphe est une enquête de Papyrus et Théti-Chéri sur un chantier de construction dirigé par leur ami Imhoutep près de Karnak. Le scénario est juste correct, mais il y a quelques belles trouvailles, notamment le postulat de départ et les scènes mythologiques grandioses du début, et certaines planches sont à couper le souffle.

16. Le Seigneur des crocodiles. Ce n’est pas la première fois que Papyrus a affaire aux crocodiles, mais, cette fois-ci, le final est encore plus spectaculaire. Mais reprenons au début : Papyrus et Théti-Chéri sont faits prisonnier par des esclavagistes ! Ils se trouvent embarqués de force dans une aventure en plein désert, où ils font notamment faire la rencontre du nain bédouin Pouin et de son âne, de sympathiques compagnons qui reviendront dans les albums suivants. J’ai trouvé le scénario un brin plus décousu par endroits (la rencontre avec l’aveugle et l’intrigue qui s’ensuit sortent de nulle part), mais ça ne nuit pas au plaisir de la lecture.

17. Toutankhamon, le pharaon assassiné. Voici Papyrus et Théti-Chéri aux prises avec une délicate affaire de pillage de tombes dans la Vallée des Rois, non loin de Thèbes. Cet album se démarque des précédents par une structure originale et des informations sur l’histoire familiale de Papyrus qui n’y avait encore jamais eu droit : un flashback nous montre un de ses ancêtres au service de l’épouse de Toutankhamon, Ânkhésenamon. Les personnages secondaires, amis comme ennemis, m’ont paru bien campés et marquants. Et Pouin et son âne sont toujours impayables !

18. L’œil de Rê. C’est la fête de l’Opet, le Nouvel an en Égypte ancienne, et tout le monde a un peu trop bu… mais voilà que la barque d’Amon sombre, et que la statue du dieu est mutilée ! Nos héros vont devoir retrouver la partie manquante à temps pour éviter le discrédit à Pharaon au moment du pinnacle de la cérémonie à laquelle la statue doit prendre part.
Le dessin est superbe, mais le scénario m’a paru un peu plus léger. Finalement, les dieux font le plus important, ce qui donne a posteriori l’impression que les courses-poursuites des personnages n’ont pas vraiment d’enjeu. Quant à l’humour, il est plus « cartoonesque » que d’habitude : ce n’est pas désagréable, mais ça détone un peu par rapport aux albums précédents. Sans être un grand cru, cela reste une lecture sympathique.

19. Les Momies maléfiques. Pas d’enquête ou d’exploration de monuments dans cet album, place au frisson et à l’action ! Le titre et la couverture résument très bien l’intrigue de cet album, qui prend en grande partie la forme d’une course-poursuite avec les momies en question. Sa cause tient un peu du prétexte, et renoue avec le côté fantasy carton-pâte des tout premiers albums de la série. Que les gens aisément impressionnables se rassurent : l’humour reste présent, très présent même, et donne à l’ensemble un côté parfois un peu grand-guignol, plus léger que les scènes d’angoisse des autres albums. Bien qu’on connaisse quelques histoires de momies mécontentes dans la véritable littérature égyptienne antique, il y a ici une volonté visible d’emmener Papyrus et Théti-Chéri du côté des histoires des films de momies d’Hollywood, nettement moins subtiles ! L’ensemble ne m’a pas paru inoubliable, mais fait passer un bon moment et a aussi le mérite d’essayer des directions et un rythme un peu différents de ce que De Gieter avait déjà fait. Y compris dans la mise en cases, avec ses plans larges joliment cinématographiques.

20. La Colère du grand sphinx. Théti-Chéri a disparu et Papyrus doit la retrouver. Classique, mais l’enjeu et les adversaires m’ont paru très convaincants, tout comme le cadre historique : on oublie parfois que l’Égypte ancienne a une histoire si longue que nombre de ses monuments ont eu le temps de tomber en ruines ou d’être ensablés et d’être restaurés ou redécouverts par certains pharaons. C’est cela qui sert d’enjeu à cet album et cela m’a paru bien trouvé. Et en plus, on voit se dessiner un arc narratif de longue haleine de la série sur les relations entre les personnages principaux !

21. Le Talisman de la grande pyramide. Papyrus et Pouin ont maille à partir avec des êtres surnaturels rôdant dans les tombes. Dans le cas de Papyrus, il s’agira de la plus grande d’entre elles : la grande pyramide de Khéops ! Changé en chauve-souris le temps de s’y introduire, notre infortuné héros aura bien du mal à en ressortir vivant. Un album sympathique et qui nous fait parcourir un monument archi célèbre, mais il ne m’a pas laissé un souvenir impérissable, sans doute en raison d’une ambiance un peu trop légère par rapport aux périls encourus.

22. La Prisonnière de Sekhmet. Un ennemi retors dissimulé dans le palais même de pharaon, Théti-Chéri emprisonnée (encore) et une bonne coopération entre les héros pour vaincre le danger, qui vient de la déesse Sekhmet (avec laquelle Papyrus et Théti-Chéri avaient déjà eu maille à partir dans les tomes 9 et 10). Un album qui commence comme une intrigue de cour et se termine de manière un peu plus spectaculaire, avec un bon équilibre entre enquête et action, Histoire et magie, intrigue autonome et approfondissement des personnages (en particulier Pouin, décidément bien sympathique). Un bon cru à mes yeux.

23. L’Odyssée de Papyrus 1. Le Cheval de Troie. Voilà Papyrus et Théti-Chéri embarqués bien malgré eux par des pirates esclavagistes. Lorsqu’ils atteignent les côtes de l’Asie Mineure, ils découvrent la fameuse ville de Troie, mais Troie après la guerre de Troie. Réduite à l’état de ruines, la ville est déchirée par des luttes entre les derniers représentants du peuple troyen et des pillards bien décidés à tirer parti du déclin de la cité. Un parti pris original, où l’on croise quelques figures mythologiques grecques célèbres dans des situations inédites. Malheureusement, les adversaires manquent terriblement de panache et le traitement est très orienté vers le comique, ce qui a pour effet d’ôter une bonne partie de son ampleur à l’histoire.

24. L’Odyssée de Papyrus 2. La Main pourpre. Voici Papyrus et Théti-Chéri en Phénicie, et ils découvrent les réalités effrayantes qui se cachent derrière le commerce de la pourpre. Le postulat est passionnant (partir d’une réalité artisanale et économique pour en donner une vision « à la Papyrus » avec du merveilleux). Mais la structure du scénario est étrange : l’adversaire le plus terrible est expédié dans les premières pages et la suite se perd parfois un peu dans des courses-poursuites avec des gags assez faciles. Il y a pourtant quelques belles pages d’intrigue de cour et des bases posées pour l’album suivant, avec le retour de Pouin.

25. L’Odyssée de Papyrus 3. Le Pharaon fou. J’ai bien aimé cet album où Pouin joue un rôle important, ce qui aide le scénario à se renouveler un peu. Nos trois héros sont plus que jamais pris entre des périls surnaturels et de sinistres complots, liés cette fois aux relations diplomatiques entre l’Égypte et la Phénicie. L’entrelacement entre le contexte historique et l’aspect fantasy m’a paru mieux ficelé, tout comme la structure de l’intrigue. Le dessin nous réserve quelques beaux décors et planches effrayantes. Globalement, cette trilogie de L’Odyssée de Papyrus n’est pas incontournable, mais elle a l’avantage d’aller en se bonifiant d’album en album.

26. Le Masque d’Horus. De retour en Égypte, Papyrus est convoqué par la mère de Théti-Chéri, la Grande Épouse Royale, qui lui révèle un lourd secret de famille. Et voici Papyrus embarqué seul dans une quête improbable, sous la menace particulièrement intimidante d’Horus. Le scénario s’inspire fortement d’une légende non égyptienne, mais je ne pourrais pas dire laquelle sans divulgâcher aussitôt le scénario. Les gens qui reconnaîtront l’inspiration trouveront sûrement l’album un peu facile. De mon côté, j’ai tout de même bien apprécié le résultat et les péripéties qui l’accompagnent, parce que l’album apporte du neuf à la série. Dommage que la couverture soit moins détaillée que d’habitude, mais il vaut mieux que ce soit la couverture qui pèche que l’album lui-même !

27. La Fureur des dieux. Voici Papyrus lancé dans une tentative désespérée pour sauver son ami Imhoutep et récupérer… un papyrus. Mais pas n’importe lequel : un papyrus du Livre des Dieux, grâce auquel l’un de ses pires ennemis divins pourrait devenir le plus puissant des dieux. Cet album m’a paru très bon, notamment grâce à ses adversaires farouches (rien de tel qu’un bon méchant pour faire une bonne BD d’aventure) et par la manière habile dont il utilise les détails de l’architecture égyptienne antique pour imaginer de nouveaux dangers – ce pour quoi De Gieter est particulièrement bien placé.

28. Les Enfants d’Isis. L’événement principal de cet album est dévoilé dès la couverture : Papyrus et Théti-Chéri se mettent en couple dans cet album ! Cela soulève des enjeux importants pour la famille de Pharaon, et, visiblement, tout le monde ne voit pas la nouvelle d’un bon œil… pas même certains dieux. En dehors de cette avancée majeure dans l’univers de la série, l’intrigue m’a parue sympathique, sans plus. Il faut dire que je ne supportais pas le personnage en forme de momie miniature… mais c’est une question de goûts. Et l’album reste un « must » pour quiconque veut comprendre les grands pivots de l’intrigue de la série.

29. L’Île de la reine morte. Attention, âmes sensibles : voici un nouvel album franchement orienté « horreur » ! Papyrus et Théti-Chéri ont affronté toutes sortes de dangers, parfois franchement répugnants, au cours des albums précédents, mais cette histoire d’insectes leur réserve quelques-unes des pages les plus terrifiantes de la série (et l’un des pires sorts subis par Théti-Chéri). Après des albums parfois très légers, De Gieter revient à des intrigues plus éprouvantes pour les personnages, histoire de rappeler qu’il a toujours été doué pour fourrer ses héros dans des pétrins sans nom et pour nous faire très peur. L’intrigue est à classer sans ambiguïté du côté du merveilleux, loin des détails historiques qu’on trouvera plutôt dans l’album suivant.

30. L’Oracle. Cet album nous fait revenir au sein de la civilisation, pour mieux entraîner Papyrus et Théti-Chéri dans une nouvelle affaire de complot retors. Un album honorable, où De Gieter montre une nouvelle fois son inventivité quand il s’agit d’exploiter des détails de l’architecture et plus généralement de la civilisation égyptienne antique pour alimenter intrigues, mystères, rebondissements et détails ingénieux. La couverture n’est pas la mieux dessinée de la série ; heureusement, le dessin à l’intérieur, lui, s’en sort très bien.

31. L’or de Pharaon. Retour vers le merveilleux avec cet album qui déploie une nouvelle histoire de malédiction et lorgne à nouveau vers une ambiance inquiétante, sans pour autant renoncer à l’humour dans certaines scènes (avec une mémorable rencontre entre Papyrus et une autruche dans les premières pages). Un album correct, bien qu’il ne m’ait pas laissé un souvenir impérissable (après 30 tomes, je connaissais nécessairement bien les ficelles habituelles de la série).

32. Le taureau de Montou. Cet album, qui puise son inspiration dans les réalités historiques de l’Égypte ancienne (les temples, le clergé et les animaux sacrés), met aux prises Théti-Chéri et Papyrus avec le pouvoir d’un prêtre inflexible au sein d’un sanctuaire désargenté. Plus réaliste, l’intrigue reste riche de rebondissements. Plutôt un bon cru à mes yeux.

33. Papyrus pharaon. C’est le tout dernier album de la série, De Gieter ayant déclaré en 2013 que Papyrus s’arrêterait là. Une décision qui a dû nécessiter beaucoup de courage, pour un auteur qui a fait vivre 33 aventures à ses personnages pendant quarante ans (la série a été créée en 1974 et ce trente-troisième album est paru en 2015). Les fans qui s’attendent à une ultime aventure épique et grandiose seront sûrement déçus : l’intrigue, moitié complots de cour et moitié humour facile, contient quelques bonnes idées, mais aurait mérité davantage de maturation, car elle semble s’éparpiller et s’achève sur une ficelle éculée, sans mettre beaucoup en valeur les personnages récurrents. Elle ressemble davantage à une petite balade humoristique à prendre avec pince-sans-rire avant de laisser les héros goûter un repos bien mérité.
D’un autre côté, faut-il rappeler combien de séries de BD ont connu des fins bien plus atroces ? Faut-il évoquer le souvenir terrifiant du tout dernier album d’Astérix dessiné et scénarisé par Uderzo ? Finalement, Papyrus ne s’en sort pas trop mal. Faisons aussi la part de l’âge : De Gieter avait près de 80 ans quand il a achevé ce trente-troisième album. Bien d’autres n’auraient pas mieux tiré leur chapeau. On ne peut que refermer avec émotion ces dernières pages, en repensant aux merveilleuses heures de lecture que l’auteur nous a offertes aux côtés de Papyrus et de Théti-Chéri, d’Imhoutep, de Pouin et de tous les autres.
Au passage, vous avez remarqué que, sur la couverture de ce dernier tome, le cartouche de la série, en haut à droite, est pour la première fois écrit en hiéroglyphes ?

Conclusion

Papyrus a été la première série de bande dessinée franco-belge à plonger un jeune public dans l’Égypte ancienne. Rien que pour cette raison, elle mériterait une place dans l’histoire du neuvième art. Mais elle s’est également distinguée par sa qualité, avec plusieurs albums extraordinaires, et par sa longévité. Elle a sa place aux côtés d’Alix pour le monde romain, mais propose un univers bien différent, qui entremêle parfois très étroitement l’histoire, les mythes égyptiens antiques et les éléments de merveilleux propres à l’auteur.

Les principales qualités de cette série à mes yeux sont, d’une part justement cette capacité à puiser tantôt dans l’historique et tantôt dans le mythologique ou le merveilleux, d’autre part les décors souvent à tomber par terre, notamment les reconstitutions historiques, mais aussi certains décors inventés par l’auteur (à commencer par la cité souterraine du Maître des trois portes). Ajoutons une galerie de personnages récurrents bien campés et sympathiques, de grands voyages à travers le monde antique et une évolution cohérente et réaliste de la relation entre les deux héros sur le long terme.

Du côté des défauts, je trouve De Gieter plus à l’aise avec les décors, les objets et les véhicules qu’avec les personnages, dont les visages ne sont pas toujours très bien caractérisés, bien que toujours expressifs. En termes d’intrigue, comme je l’ai souvent dit en commentant chaque album, je regrette que l’humour ait parfois tendance à nuire au caractère épique des aventures de Papyrus et de Théti-Chéri, mais cela dépend des albums et cela reste une affaire d’appréciation personnelle.

La série a-t-elle vieilli ? En termes de dessin, je ne crois pas : malgré les changements de mode, le style de De Gieter me semble moins marqué par les dadas de son époque que le dessin très académique d’un Alix par exemple, et elle ne souffre pas non plus des changements de goût en matière de quantité de texte dans les encadrés (contrairement à Blake et Mortimer ou aux premiers Alix qui tiennent parfois du roman illustré). Sans oublier que les décors fabuleux de l’Égypte ancienne n’ont pas pris une ride. Ce qui a le plus vieilli dans la série est finalement la place de Théti-Chéri. Quoique active et dotée d’un caractère bien trempée, l’héroïne se retrouve beaucoup plus souvent placée dans le rôle d’enjeu à sauver ou à libérer que Papyrus lui-même, bien qu’il arrive aussi à la princesse de le sauver. Les couvertures des albums sont particulièrement surannées de ce point de vue, avec une Théti-Chéri presque toujours en détresse, ficelée et réduite au rang d’enjeu de la prouesse de son compagnon. Les couvertures la font d’ailleurs paraître bien plus sexualisée et plus passive qu’elle ne l’est réellement dans les albums. Au moins, Papyrus reste moins habillé qu’elle, puisqu’il ne porte qu’un pagne et il n’est pas une montagne de muscles, c’est déjà ça ! Et sur les couvertures, c’est toujours Papyrus qui protège ou sauve Théti-Chéri, alors que la réciproque arrive bel et bien dans plusieurs albums. Bref, les couvertures ne rendent pas justice à la variété des intrigues, même si Théti-Chéri reste effectivement moins active que les héroïnes de BD actuelles.

Par où commencer pour découvrir cette série ? Par le premier tome, tout simplement ! Il est indispensable pour comprendre les pouvoirs de Papyrus et son statut particulier de simple pêcheur devenu protecteur de la fille de Pharaon. Ensuite, tout dépend de vos préférences, selon que vous vous intéressez davantage aux récits réalistes avec complots et voyages dans le monde antique, ou bien à la mythologie et au merveilleux. Mes indications sur chaque album devraient vous aider à vous orienter.

Voici mes albums préférés (puisqu’il en faut bien) :

  • Aventures merveilleuses et fantasy : 1. La Momie engloutie, 2. Le Maître des trois portes, 3. Le Colosse sans visage, 4. Le Tombeau de Pharaon, 5. L’Égyptien blanc, 13. Le Labyrinthe, 16. Le Seigneur des crocodiles, 22. La Prisonnière de Sekhmet, 24 La Main pourpre.
  • Aventures avec décors historiques grandioses : 7. La Vengeance des Ramsès, 8. La Métamorphose d’Imhotep, 11. Le Pharaon maudit, 15. L’Enfant hiéroglyphe, 21. Le Talisman de la Grande Pyramide.
  • Complots et intrigues de cour : 6. Les Quatre doigts du dieu Lune, 9. Les Larmes du géant, 17. Toutankhamon, le pharaon assassiné, 20. La Colère du Grand Sphinx, 25. Le Pharaon fou, 32. Le Taureau de Montou.

Pour prolonger le plaisir de cette lecture, on peut par exemple se tourner vers la série télévisée d’animation Papyrus, diffusée pour la première fois en 1998 et actuellement visionnable sur sa chaîne Youtube officielle.

J’ai d’abord posté ces avis sur le forum Le Coin des lecteurs entre le 7 mars 2022 et le 15 janvier 2023 avant de les reprendre et de les corriger pour les rassembler ici.


Jules Verne, « Mistress Branican »

21 juin 2021

Référence : Jules Verne, Mistress Branican, Paris, Librairie générale française, coll. « Le livre de poche », 2020 (première parution : Paris, Hetzel, 1891, avec des illustrations par Léon Bennett).

Quatrième de couverture de l’éditeur

« San Diego, 1875. Le capitaine John Branican part en campagne à bord du Franklin, laissant derrière lui sa femme Dolly et leur jeune fils, Watt. Les semaines passent et Dolly reste sans nouvelles de son mari. Trois ans et bien des drames plus tard, elle décide de mettre à profit un héritage inattendu en montant une expédition pour sillonner les mers du globe à la recherche de son époux disparu. Sa quête la mènera jusqu’aux confins de l’Australie où, lors d’une périlleuse équipée à dos de chameau, elle devra affronter mille et un dangers avant de découvrir la vérité.

Grand roman d’amour et d’aventure paru en 1891, écrit en hommage à la femme de John Franklin – grand explorateur disparu en 1845 lors d’une expédition à la recherche du passage du Nord-Ouest –, Mistress Branican dresse le flamboyant portrait d’une femme de caractère, prête à affronter toutes les formes d’adversité par amour.

Illustrations de l’édition originale Hetzel »

Mon avis

Une réédition radine

Mistress Branican est parue en 1891. Comme tous les autres romans de Jules Verne, il appartient désormais au domaine public, ce qui signifie que, depuis l’essor d’Internet, on peut en trouver le texte gratuitement et légalement en ligne sur des sites comme le projet Gutenberg et Wikisource. Cela reste beaucoup plus pratique, et beaucoup plus visible pour le grand public, d’en avoir des éditions papier, et c’est donc a priori une bonne chose que le Livre de poche ait choisi de rééditer le roman en 2020. A priori ? Oui, car, comme trop souvent dans ce genre de cas, l’éditeur se contente d’une réédition a minima : le texte, les illustrations d’origine, et c’est tout. Or, comme nous allons le voir, on ne peut plus lire Jules Verne, et en particulier lire Mistress Branican, sans un apparat critique adapté qui replace ce roman dans son contexte. Sans cela, on peut difficilement comprendre ce roman. Mais voilà : c’est seulement du Jules Verne, ce n’est pas comme si c’était un auteur classique… alors, on ne prend pas la peine d’ajouter la moindre introduction. Déception, donc, sur ce plan-là.

Cette radinerie tourne à la négligence quand il s’agit des détails. Parlons-en, des illustrations. D’abord, l’illustrateur n’est pas crédité correctement : le quatrième de couverture se contente paresseusement d’indiquer « illustrations de l’édition originale Hetzel », sans même mentionner le nom de la personne qui les a réalisées, à savoir Léon Bennett, merci pour lui. Son nom apparaît certes sur la page de titre issue de l’édition originale Hetzel et reproduite en tête du livre, mais il est moyennement lisible. Et tout aussi peu lisibles sont les cartes géographiques issues de cette même édition Hetzel, reproduites dans une mauvaise résolution d’image qui rend difficile de déchiffrer les indications de lieux écrites en petit. Un gâchis et une véritable gêne à la lecture pour un roman qui se déroule tout entier dans des parties du monde peu connues par chez nous (l’Océanie et l’Australie), qui nécessitent de réguliers coups d’œil sur une carte.

Dans la série « C’est une vieille édition, donc on n’a pas besoin de créditer les auteurs », le volume se termine par une biographie de Jules Verne en quelques pages qui ne porte aucune signature et dont on ignorera l’auteur. Je vous rassure, ce n’est pas comme si elle avait été écrite pour les besoins de cette édition : à lire certaines allusions chronologiques, j’ai cru deviner qu’il s’agissait de la reproduction d’une notice biographique datant, en gros, du milieu du XXe siècle. Un comble, quand on sait que les études sur Jules Verne et plus généralement sa postérité ont bien avancé en 50 ans.

Finissons-en avec cette édition en évoquant la couverture. C’est la seule nouveauté réalisée pour les besoins de cette réédition, ce qui montre bien les priorités de l’éditeur : une jolie couverture qui attire le chaland, et tant pis si, une fois acheté, le texte est incompréhensible pour le grand public et les illustrations de mauvaise qualité. La couverture en question se veut un souvenir des superbes couvertures des éditions Hetzel qui sont passées à la postérité en même temps que les romans eux-mêmes et que beaucoup de leurs illustrations. Hélas ! l’éditeur aurait mieux fait de conserver ces couvertures telles quelles : en l’état, les différents éléments repris des éditions Hetzel sont simplifiés et géométrisés à outrance, au point qu’on finit par ne plus trop comprendre ce qu’ils font là. Pourquoi ce soleil rouge qui, reproduit de cette couleur, évoque tout au plus le Japon ? Que font là ces soleils noirs dans les coins ? Le lectorat reconnaîtra-t-il les chaînons changés en vagues traits d’union tout autour de la couverture ? Où sont passés l’or, le bleu, la verdure qui ponctuaient si joliment les couvertures Hetzel, et pourquoi les avoir remplacés par ce trio rouge, noir et argenté si froid ? C’est assez navrant de se dire que ce même éditeur qui n’a pas voulu payer un ou une spécialiste de Verne pour écrire une introduction indispensable au volume, a consenti à payer un graphiste pour confectionner un souvenir aussi déformé et appauvri de couvertures qui n’avaient pas pris une ride et qui auraient pu être reproduites gratis.

Bref, voici une réédition papier qui a le mérite d’exister, mais c’est à peu près tout ce qu’elle a pour elle, et c’est une occasion manquée flagrante.

Passons au texte.

Un personnage féminin fort… selon les critères des années 1890

Mistress Branican m’a attiré car c’est à ma connaissance le seul roman de Jules Verne dont le titre mentionne un personnage principal féminin. Une épouse qui part à la recherche de son époux marin disparu, cela a des allures d’Odyssée de Pénélope. En réalité, l’inspiration de Verne est bien plus contemporaine. Le seul élément de contexte présent dans cette édition, sur le quatrième de couverture, porte là-dessus : le personnage de Dolly Branican s’inspire directement de celui de « la femme de John Franklin ». Vous remarquerez que le quatrième de couverture ne pousse pas la précision jusqu’à mentionner le nom de la femme en question. Cette femme, c’est Jane Griffin (1791-1875), seconde épouse de John Franklin (sa première épouse, la poétesse Eleanor Anne Porden, ayant succombé à la tuberculose). Parti explorer l’Arctique en 1845 avec un navire et un matériel ultramoderne pour l’époque, Franklin, n’ayant plus donné signe de vie trois ans après, fait l’objet de plusieurs expéditions de recherche, toutes exigées, encouragées puis directement financées par Jane Griffin. Trois expéditions infructueuses lancées par le gouvernement britannique aboutissent, en 1854, à déclarer Franklin et son équipage morts en service. Cela n’arrête pas Jane Griffin, qui finance personnellement plusieurs autres expéditions, notamment avec l’aide d’une souscription publique. L’une de ces expéditions, lancée en 1857, finit par être couronnée de succès puisqu’elle découvre les restes de l’expédition et fait la lumière sur le sort de John Franklin et de son équipage, mais sans retrouver aucun survivant.

L’inspiration est patente et Verne ne s’en cache pas. Le navire sur lequel embarque l’époux de Dolly Branican s’appelle le Franklin. L’époux de Dolly Branican s’appelle John. La popularité dont jouit Dolly Branican tout au long de ses recherches s’inspire de celle de Jane Franklin, qui parvint à mobiliser l’opinion publique en sa faveur pendant plusieurs années (d’où le succès de sa souscription publique pour financer une quatrième expédition après que le gouvernement britannique y eut renoncé). Et, si l’expédition réelle dont s’inspire Verne n’explorait pas l’Australie, il existe bel et bien un lien entre Jane Griffin et ce pays : la Tasmanie, île située à peu de distance au sud de l’Australie. John Franklin a été gouverneur de cette île en 1836. Jane Griffin, qui s’intéresse beaucoup à cette colonie, est la première femme d’Europe à y effectuer de longs voyages, sur les côtes sud et ouest ; grande voyageuse pour son époque, elle visite également la Nouvelle-Zélande et le Sud de l’Australie, puis jusqu’aux îles Shetland où elle accompagne l’une des expéditions parties en quête de son mari, sans aller toutefois elle-même jusqu’en Arctique.

Le roman de Verne n’a pourtant rien d’un simple décalque de la vie de Jane Griffin. Plusieurs différences en témoigne. Verne transpose le point de départ de l’intrigue sur la côte ouest des États-Unis, à San Diego (peut-être pour raccourcir un peu les trajets des expéditions de recherche). Le Franklin est un navire de commerce et non un navire d’exploration. Quant à Dolly Branican, elle accompagne l’expédition jusqu’au bout et y joue un rôle décisif. On peut donc dire que le personnage de Dolly Branican en fait plutôt davantage que son inspiratrice réelle.

Je vous livre ici une remise en contexte qui m’a furieusement manqué en commençant ma lecture du roman. C’est que, lu avec les critères actuels en matière de rôle des personnages féminins, Mistress Branican démarre de manière assez poussive. Autant la disparition du mari et le destin qui s’acharne contre Dolly Branican donnent lieu à des descriptions vivaces, autant, pendant les chapitres qui suivent, j’ai eu l’impression de piétiner en compagnie d’un fantôme. Le plus frustrant est de voir Dolly Branican tout faire pour mettre sur pied les premières expéditions en quête de son mari, puis… ne pas y prendre part et les regarder partir poliment, pendant que Verne encense l’équipage masculin des navires en question. J’avoue être passé par un moment d’incertitude en me demandant si tout le roman se déroulerait de cette manière, avec une « héroïne » cantonnée au port et qui se contenterait de distribuer gros chèques et voeux pieux à des équipages masculins. Par bonheur, la suite est plus intéressante !

La psychologie de Dolly Branican m’a, elle aussi, réclamé une certaine patience. Ce n’est pas une grande découverte que d’affirmer que la psychologie des personnages n’est pas le point fort de Jules Verne. Ses personnages sont des archétypes (si l’on est gentil) ou des stéréotypes (quand on ne l’est pas). Au mieux, ils rappellent les héros de bande dessinée d’aventure franco-belges à la Tintin, avec des caractères hauts en couleurs marqués par quelques traits à la limite de la caricature. Ce sont des silhouettes, ce qui ne l’est empêche pas d’être parfois inoubliables (le capitaine Nemo en témoigne). Frémissez, internautes : les premiers chapitres de Mistress Branican tentent d’explorer la psychologie féminine. A vrai dire, le résultat n’est pas si catastrophique. Les bases de l’intrigue avant le départ de Dolly Branican à la recherche de son mari réservent quelques rebondissements inattendus et lorgnent parfois curieusement du côté des romans de Jane Austen. Mais il ne faut vraiment pas s’attendre à des prouesses en matière de caractérisation des personnages : le résultat ressemble un peu à ce qu’aurait écrit Jane Austen si elle s’était équipée d’une serpe au lieu d’une plume. Les gentils sont tous beaux, vigoureux et intelligents. Les méchants se détectent à cent kilomètres de distance. Quant à Dolly Branican, elle met un bon moment avant d’être en état de partir à la recherche de son mari, et son sort a éveillé chez moi surprise et impatience, tant elle a l’air inexistante et passive au début du roman. Je veux encourager les gens qui se lanceront dans cette lecture après moi : cela s’améliore au fil des pages.

Reste que Verne aurait sans doute gagné à mieux lire George Sand et les récits d’écrivaines de son époque, car il semble réellement à la peine au moment de mettre en scène un personnage féminin fouillé. Il est bien plus à l’aise dans l’aventure, la vulgarisation et le registre comique ou fantastique que dans la psychologie réaliste, mais cela n’a rien de nouveau.

Un roman colonial

Ce roman est paru en 1891 : on ne doit pas l’oublier en le lisant, car beaucoup de ses facettes s’expliquent par ce contexte. L’intrigue, quant à elle, démarre en 1875 et s’étend sur quatorze ans, soit jusqu’en 1889 – année d’une Exposition universelle qui, à Paris, voit entre autres l’inauguration de la tour Eiffel, histoire de resituer un peu les choses. Mistress Branican, comme tous les Voyages extraordinaires de Jules Verne, s’inscrit dans le contexte de l’expansion des empires coloniaux des principaux pays d’Europe dans toutes les parties du monde. Mais tandis que d’autres romans connus de l’auteur (comme De la Terre à la Lune et Autour de la Lune ou Voyage au centre de la Terre) supportent bien la lecture pour qui ne connaît rien à ce contexte, Mistress Branican a absolument besoin d’y être replacé, car son intrigue en est indissociable.

Le roman relate la disparition d’un navire, le Franklin, et les trois expéditions menées à bien pour découvrir son sort et sauver les éventuels survivants de son équipage. Bien vite, l’intrigue se déplace vers l’Asie du Sud-Est et l’Océanie, puis vers l’Australie où prennent place les événements de toute la seconde partie. C’est ici qu’il faut se souvenir du contexte. Pour nous, au début du XXIe siècle, l’Australie est un pays certes lointain et exotique, mais bien connu au territoire bien maîtrisé, partagé entre une culture occidentalisée héritée de la période coloniale et les cultures aborigènes qui fascinent le monde entier par leurs mythes (au premier rang desquels le fameux Dream Time, le Temps du rêve qui relate les origines du monde) et qui ont connu une lente réhabilitation depuis les préjugés des premiers colons. Au moment où Jules Verne écrit, la situation est toute différente : l’Australie n’est pas encore entièrement connue des explorateurs occidentaux. Sa partie centrale figure encore en blanc sur les cartes. C’est l’un des vestiges des vastes terrae incognitae où les grands voyageurs se sont ingéniés à s’aventurer de plus en plus entre le XVIIe et le XIXe siècle. Pour le public de Jules Verne en 1891, c’est donc une destination inconnue, aussi périlleuse par endroits que les pôles ou que les profondeurs des océans.

Que connaît-on exactement de l’Australie et des Australiens à l’époque ? Jules Verne nous le dit, à grands renforts de documentation précise, comme à son habitude. Il cite les noms des principaux voyageurs, souvent anglais ou américains, qui ont cartographié la région. Il s’appuie ouvertement sur leurs écrits pour imaginer le voyage de Dolly Branican. Une introduction ou des notes auraient permis de mettre en valeur ce travail de documentation et, au passage, de vulgarisation de connaissances toutes récentes à l’époque de Verne, en montrant comme l’écrivain utilise ces sources documentaires pour imaginer son intrigue.

Mais là où une remise en contexte fait cruellement défaut, c’est dans le portrait que fait Verne des aborigènes locaux, et des peuples non occidentaux de manière générale. Mistress Branican s’appuie sur les conceptions racistes des savants européens de son époque, présente les aborigènes australiens et plusieurs autres peuplades du Pacifique comme des sauvages cannibales ne méritant qu’à peine le nom d’humains, et fait l’éloge des bienfaits de la colonisation présentée comme civilisatrice. L’antisémitisme, rare, apparaît au détour d’une phrase. Tout cela a très mal vieilli et suffisait à rendre indispensable une remise en contexte qui n’est pas faite du tout. Pourquoi Verne relaie-t-il de telles conceptions ? Sont-ce ses convictions personnelles ou ce qu’il trouve dans ses sources ? Dans quelle mesure est-il dans la moyenne, en retard ou en avance par rapport aux autres écrivains de son temps ? Ses idées se modifient-elles au fil de ses romans (sachant que Mistress Branican est un roman « de la maturité », les premières publications de Verne remontant aux années 1860) ? Une bonne édition de Mistress Branican se doit de fournir quelques réponses à ces questions, légitimes de la part du lectorat actuel.

Certaines réponses à ces questions sont évidentes pour le public actuel, mais d’autres sont beaucoup plus ardues à trouver. Par exemple, que penser de la présentation des aborigènes d’Australie comme pratiquant un cannibalisme généralisé ? Que croire, aussi, au sujet des autres coutumes évoquées et des mots de vocabulaire précis que Verne présente comme issus de la langue indigène, et qu’il a vraisemblablement puisés dans les récits de voyages de son époque ? Comment les connaissances sur les aborigènes et sur l’Australie ont-elles progressé depuis ce temps, et qu’ont-elles permis de mieux comprendre sur ces sujets ? Ce ne sont pas des informations si simples à trouver, même de nos jours, et c’est là qu’une fois de plus, cette édition m’a paru négligente, car on ne peut pas réellement comprendre le roman sans ces informations.

Cette remise en contexte incontournable aurait aussi le mérite de montrer la place que tenait Verne dans les débats de son temps sur tous ces sujets. Certaines phrases, de sa part, apparaissent comme engagées, dans un sens ou dans l’autre. Elles sont parfois surprenantes pour un regard actuel. Ainsi, Verne mentionne les massacres d’aborigènes perpétrés par les colons britanniques et semble les condamner, mais, plus loin, il paraît penser comme acquise et inéluctable la disparition de ces peuplades au profit des colons occidentaux. Il reproche aux Britanniques ces massacres, mais avec une ironie où j’ai cru reconnaître l’humour noir pacifiste qui transparaît ailleurs dans des romans comme De la Terre à la Lune : il indique en effet que les Britanniques auront le plus grand mal à présenter des spécimens d’Australiens à la prochaine Exposition universelle s’ils les ont tous tués d’ici là… A la décharge de Verne, on remarquera également qu’en dépit des fréquentes mentions du cannibalisme comme danger redoutable en Australie, cette pratique n’est jamais explicitement mise en scène dans les péripéties des personnages principaux et l’unique personnage d’aborigène un peu développé se comporte davantage comme un genre de négociant retors.

Aventure, feuilleton et personnages secondaires : le plaisir des détails

Mistress Branican est un roman d’aventure. Que vaut-il en tant que tel ? De manière générale, il prend beaucoup de temps à se mettre en place, mais monte en puissance peu à peu. Le récit de la première expédition pour retrouver John Branican s’avère aussi passionnant que de suivre un doigt sur un atlas accompagné d’une voix monocorde. Il faut dire que l’enjeu narratif est délicat : d’un côté, Verne veut augmenter les enjeux dramatiques en montrant que le navire reste introuvable en dépit des meilleurs efforts pour le retrouver ; de l’autre, comme on en est encore au début du roman, il ne faut pas beaucoup de jugeote, à la lecture, pour se douter que ces premières tentatives resteront infructueuses. Comme je l’ai dit, j’étais également impatient de voir la mistress Branican du titre entrer réellement en scène, ce qui finit par arriver, à mon grand soulagement.

Le rythme du roman dans son ensemble s’améliore nettement dans la seconde partie, où Verne, après avoir passé un temps infini à mettre en place diverses ficelles, les entrecroise avec toute l’adresse d’un romancier et d’un feuilletoniste. Plusieurs rebondissements bienvenus relèvent l’intrigue principale, en particulier l’histoire de la famille Branican. Je ne peux pas non plus ne pas mentionner deux personnages secondaires hilarants, à savoir l’explorateur britannique Jos Meritt et son domestique chinois Ghîn-Ghi. Ces deux-là forment une paire maître-valet comme Verne en a inventé de nombreuses dans ses romans, avec un maître excentrique et un valet terre à terre qui rappellent beaucoup Don Quichotte et Sancho Pansa, les stéréotypes nationaux en plus. Verne adore les stéréotypes nationaux, aussi bien à propos des pays d’Europe que du reste du monde. Tous les Américains ont un esprit d’entreprise et une vigueur admirables, tous les Anglais sont flegmatiques, etc. Jos Meritt, lui, est le type de l’Anglais excentrique, puisqu’il parcourt le monde entier en quête d’un chapeau, tandis que Ghîn-Ghi pourrait figurer dans les Tribulations d’un Chinois en Chine. Les dialogues entre ces deux personnages et leur rôle dans l’expédition sont parmi les moments les plus drôles d’un roman par ailleurs très (trop ?) sérieux. Et la double page que Verne consacre à la collection de chapeaux historiques de Jos Meritt est un morceau d’anthologie. Le théâtre comique, pratiqué par Verne à ses débuts, n’est pas loin.

Conclusion

Mal édité, souffrant furieusement de l’absence d’une introduction récente faite par un ou une spécialiste de Verne, cette édition de Mistress Branican n’est pas au grand honneur du Livre de poche. Et c’est très dommage, car elle empêche de profiter pleinement d’un roman qui, sans compter parmi les chefs-d’œuvre de l’écrivain, ménage de belles pages d’aventure et forme par ailleurs un témoignage important sur l’exploration et la colonisation de l’Océanie et de l’Australie vers la fin du XIXe siècle. Si vous avez peu lu Verne, je vous conseille de commencer par des titres plus connus et moins vieillis, comme Voyage au centre de la Terre (qui est mon petit chouchou). Si vous avez déjà beaucoup lu Verne, je vous recommande de vous procurer un ouvrage ou quelques articles bien conçus sur la vie et l’œuvre de cet écrivain avant de vous lancer dans Mistress Branican si vous voulez réellement en profiter. Et si vous cherchez des fictions mettant en scène des personnages féminins forts, ma foi, mieux vaut aller voir du côté de Jane Austen ou de George Sand (pour les romans réalistes et psychologiques) ou du côté de jeux vidéo comme Syberia du regretté Benoît Sokal (pour les héroïnes d’aventure)…


[Film] « Kochadaiiyaan », de Soundarya R. Ashwin

1 juin 2014

2014, Kochadaiiyaan

L’Inde dispose d’un cinéma foisonnant, extrêmement varié, mais trop peu connu en France où les films indiens sont encore trop mal diffusés ou peu commentés par les médias, en dehors de quelques exceptions (notamment la fastueuse version de Devdas réalisée par Sanjay Leela Bhansali en 2002, avec les stars Shahrukh Khan et Aishwarya Rai Bachchan dans les rôles principaux). Or depuis une bonne quinzaine d’années, l’Inde s’est aussi dotée d’un cinéma d’animation de plus en plus florissant. D’abord cantonnés au rôle de sous-traitants pour des studios étrangers (le plus souvent américains ou européens), les animateurs indiens ont pris leur autonomie, ouvert leurs propres studios et commencé à réaliser leurs propres films animés, destinés avant tout au public indien et jamais diffusés en France… jusqu’à maintenant.

Pas encore de miracle, cela dit : Kochadaiiyaan est sorti dans très peu de salles (moins d’une dizaine, à ce que j’ai pu trouver), et dans un silence médiatique aussi impeccable que désolant, du moins de la part des grands titres de presse que j’ai pu consulter. Cela dit, cela valait peut-être mieux pour lui : les mauvais journalistes de cinéma ont tendance à méconnaître complètement la richesse extraordinaire des techniques et des styles d’animation et à estimer que tout ce qui n’est pas un film animé en images de synthèse à très gros budget, de préférence américain et avec un style à la Pixar, ne peut être qu’un mauvais film ou une curiosité anachronique (à l’exception des films de Hayao Miyazaki qui sont tous qualifiés de chefs-d’œuvre, mais c’est l’exception qui confirme la règle). C’est naturellement loin d’être le cas et, même si Kochadaiiyaan n’est certes pas un chef-d’œuvre, ce n’est pas une raison pour ne pas en dire quelques mots.

Une nouvelle pierre dans un édifice en plein chantier : l’animation indienne

Aller voir Kochadaiiyaan dans un cinéma français, en 3d relief, c’est avoir un aperçu d’une animation en plein essor dont les artistes et les techniciens accomplissent chaque année des pas de géants, et qui pourrait bien donner naissance dans peu d’années à de grosses productions capables de rivaliser avec Disney ou Dreamworks, voire  des œuvres uniques à la personnalité aussi forte que celle des films d’animation français ou japonais par exemple. Ce ne sont ni les studios, ni les animateurs, ni la technique, ni les idées, ni la personnalité qui manquent, seulement à la rigueur le budget (mais l’Inde, tout comme les États-Unis, possède ses énormes studios – ce qu’on appelle « Bollywood » ou « Kollywood » – capables d’aligner les films à gros budget chaque année) et surtout l’expérience. Passer de la sous-traitance ou bien de la production de publicités, de clips, de courts métrages ou de séries d’animation télévisées à un film au format long métrage, c’est un pas qui n’a rien d’évident et que n’importe quel studio d’animation dans le monde aborde toujours avec appréhension : les exigences de qualité sont sans commune mesure, les enjeux financiers aussi.

Il y a peu de temps, l’Inde en était encore au temps des pionniers. Les studios d’animation existent dans le pays depuis les années 1950 et, depuis une vingtaine d’années, l’arrivée de l’animation par images de synthèse a réclamé de former les animateurs à des techniques entièrement différentes. L’Inde a déjà produit des dessins animés de bonne qualité, comme Ramayana: The Legend of Prince Rama, certes co-produit avec le Japon (co-réalisé par Yugo Sako et Ram Mohan), en 1992, qui offre un aperçu du mariage aussi étonnant que réussi entre l’univers de la mythologie hindoue venu tout droit de l’épopée du Ramayana, un univers visuel nettement indien et un style d’animation très proche des dessins animés japonais. Mais, à ma connaissance, il n’y a pas eu tant que ça de grands dessins animés indiens avant le tournant de l’an 2000.

Kochadaiiyaan est loin d’être le premier dessin animé indien à être animé en images de synthèse. Ce titre ne revient pas non plus à Roadside Romeo, co-produit par Disney en 2008, qui s’en targuait abusivement. Non, il faut chercher bien plutôt autour de l’an 2000 (soit à peine cinq ans après Toy Story de Pixar qui était le premier film d’animation en images de synthèse tout court) pour trouver déjà une production indienne, Pandavas : The Five Warriors, réalisée par Usha Ganesarajah et produite par le studio Pentamedia Graphics (là encore, on est en pleine mythologie : le sujet du film est emprunté au Mahabharata, l’autre grande épopée indienne antique). Kochadaiiyaan n’est pas non plus le premier film indien animé en capture de mouvement, puisque Sindbad : Beyond the Veil of Mists, le précédent film de Pentamedia, sorti également en 2000, avait déjà systématisé cette technique à l’échelle d’un film. Tant les Pandavas que Sindbad recherchaient déjà un rendu réaliste. À visionner des scènes de ces films, on a le sentiment de voir des scènes cinématiques de jeu vidéo de la fin des années 1990 : les décors sont bien faits, les costumes et accessoires bien modélisés et riches en détail, mais l’animation elle-même et le rendu de détails comme les ombres et les effets de lumière ne sont pas encore très élaborés. Comme les effets spéciaux vieillissent vite ! Les spectateurs non avertis auront vite fait de se moquer de ces premiers essais, en oubliant la prouesse technique qu’ils représentaient encore aux États-Unis il y a quinze ans.

Dans l’intervalle, l’industrie de l’animation indienne s’est développée à toute vitesse, portée par des succès comme celui de Hanuman en 2005 (en dessin animé). Toutes sortes de studios se sont créés et les films se sont multipliés, chacun tentant d’avoir sa part du gâteau auprès du public, sans que le succès soit toujours au rendez-vous. Les techniques employées restent aussi bien le dessin animé (comme dans la co-production indo-disneyenne Arjun, the Warrior Prince en 2012, de nouveau inspiré du Mahabharata et qui ne semble malheureusement pas avoir trouvé son public) que les images de synthèse (par exemple Bal Ganesh en 2008, qui raconte la jeunesse du dieu Ganesha dans un style cartoonesque, ou Ramayana : The Epic de Chetan Desai en 2010). Les sujets sont souvent mythologiques, voire franchement religieux (comme dans Dashavatar en 2008), ou bien reprennent sous forme animée les sujets et les conventions des gros films « bollywoodiens » (comme Roadside Romeo déjà cité ou Koochie Koochie Hota Hai en 2011).

Un prince parfait se venge d’un roi secrètement fourbe

Cette longue introduction permet de mieux comprendre l’intérêt de Kochadaiiyaan. À commencer par l’originalité de son sujet : contrairement à ses prédécesseurs qui ne se détachaient pas des sujets mythologiques préexistants, Kochadaiiyaan est un film d’aventure de fantasy situé cette fois dans un univers entièrement fictif, quoique toujours proche de l’atmosphère des grandes épopées indiennes et inspiré davantage par l’Inde médiévale réelle que par les fictions à forte dose de merveilleux : oubliez les elfes, les orques et les magiciens barbus, et sortez plutôt les guerriers à moustache, les princesses en sari, les chars à chevaux et les complots de palais. Précisons aussi que le film s’adresse davantage aux adolescents et aux adultes qu’aux très jeunes enfants (disons que je le classerais dans la catégorie des « 12 ans et plus »).

L’histoire est celle d’un bon film d’aventure rempli de ficelles classiques mais efficaces. Dans un lointain passé, deux royaumes rivaux sont constamment en guerre. Un tout jeune prince, Rana, entreprend, pour des raisons qu’on ignore, un voyage périlleux vers le royaume ennemi. Arrivé à moitié mort dans ledit royaume, sans qu’on connaisse son identité, il y grandit et devient un grand guerrier. Promu au titre de commandant en chef de l’armée royale, il découvre dans les mines secrètes du roi des milliers d’esclaves venus de son royaume natal, qu’il n’a pas oublié. Il obtient de changer ces esclaves en guerriers et de les mener au combat contre leur propre royaume… pour bien évidemment rentrer chez lui avec eux et rejoindre les armées de son royaume natal. Ce premier exploit ne couvre que les quelques premières minutes du film et ouvre une longue série de prouesses. Les enjeux réels du film ne se dévoilent que progressivement, lorsqu’on découvre la haine a priori inexplicable que Rana voue à l’actuel roi de son royaume natal. Pour la comprendre, il faudra un flashback relatant la vie du père de Rana, Kochadaiiyaan, le héros à la crinière de longs cheveux, injustement trahi par le roi.

Le film fait alterner avec une bonne régularité les scènes d’action épiques (un peu sanglantes, donc pas destinés à de très jeunes enfants, quoique sans surdose d’hémoglobine) et les scènes plus calmes de réflexion, de complots ou d’amour. Les rebondissements sur les motivations cachées de Rana et du roi sont bien amenés et confèrent à l’histoire un côté feuilletonnesque pas désagréable. L’ensemble fait parfois penser au Comte de Monte-Christo d’Alexandre Dumas pour la vengeance et les secrets, et au Cid de Corneille pour les exploits guerriers et les dilemmes familiaux, le tout dans un univers qui emprunte tout de même au Mahabharata ses héros surpuissants et moralement irréprochables et ses royaumes rivaux.

Pour un public européen ou américain, le scénario du film rappellera surtout les films d’aventure du milieu du XXe siècle comme ceux mettant en scène Errol Flynn (Les Aventures de Robin des bois, L’Aigle des mers) ou, sous nos latitudes, les films de cape et d’épée façon Scaramouche ou Le Bossu. Comme dans ces films, le héros est présenté comme foncièrement bon (« Loyal Bon », diraient les joueurs de Donjons et Dragons) et lutte contre l’injustice avec un esprit de sacrifice qui n’a d’égal que son sens de la répartie. Rana et Kochadaiiyaan ne sont cependant pas aussi rebelles et insolents que leurs cousins à rapière : ils sont parfaits, trop parfaits, et tombent parfois dans les travers des personnages de ce type, un peu trop lisses, comme Mickey ou Tintin. La critique vaut surtout pour Kochadaiiyaan lui-même, dont on comprend qu’il finisse par taper sur les nerfs de son roi à force d’être un modèle de vertu. Rana, de son côté, offre heureusement un personnage plus nuancé, vengeance secrète oblige. En outre, Kochadaiiyaan contient aussi une part d’humour qui équilibre bien ses éléments de drame, même si le tout devient peut-être un peu trop sérieux dans le dernier tiers du film.

Les héros principaux sont tous des hommes ; la plupart des personnages féminins ont simplement le rôle d’épouses ou de mères, mais la princesse royale est un peu mieux traitée puisqu’elle est aussi douée pour les arts martiaux que pour tomber amoureuse du héros. Si le film ne m’a paru contenir aucun message politique, social ou religieux particulier (les quelques allusions à Shiva sont banales dans le cinéma indien, majoritairement hindou, et se rapportent autant à l’univers des épopées mythologiques qu’aux réalités actuelles du pays), l’une des péripéties secondaires du film consiste en un mariage entre deux personnes de castes différentes encouragé par le héros, sujet qu’on retrouve fréquemment dans le cinéma bollywoodien mais qui n’est pas encore si évident dans la société indienne.

Dans la plus pure tradition bollywoodienne, le film est ponctué par de nombreuses chansons allant de pair avec autant de chorégraphies de la part des héros et de foules de figurants animés. Pour un public non habitué aux films de Bollywood, cela peut paraître un peu surprenant de voir des foules de danseuses, de villageois, de hauts dignitaires royaux ou même de soldats entonner une chanson en dansant au beau milieu d’une scène, mais c’est l’une des conventions les plus classiques de ce cinéma et pour autant qu’on l’accepte, elle ne manque pas de charme.

Reste une question qui m’a taraudé pendant plusieurs scènes : puisque Kochadaiiyaan et son fils sont supposés être des modèles de vertu si parfaits, pourquoi diable ne s’arrangent-ils pas pour faire la paix entre les deux royaumes au lieu de jouer les patriotes belliqueux ? D’accord, la guerre fait partie des conventions de ce genre de film, et il n’y aurait pas vraiment d’aventure si nos deux héros étaient encore plus doués. Mais une autre réponse apparaît à la toute fin, dont l’ultime rebondissement semble clairement fait pour permettre une suite au cas où le film aurait du succès. Pour le coup, c’est de bonne guerre.

Des images réussies, l’animation et la réalisation encore  inégaux

Parlons maintenant des images et de l’animation – c’est là que les Athéniens s’atteignent et que les Pixar se pixélisent. Outre tout ce que j’ai dit sur le contexte propre à l’animation indienne, il faut ajouter que le film se revendique d’un rendu aussi photoréaliste que possible, à l’aide notamment de la technique de la capture de mouvements, et aussi que la production a été menée tambour battant en un temps record d’un an et demi. Une accumulation de paris périlleux.

Si l’on tient compte de ce contexte particulier, surtout par rapport aux précédents films d’animation indiens en images de synthèse, il faut convenir que les progrès sont sensibles. Kochadaiiyaan contient tout ce dont un film d’aventure épique a besoin, et il ne lésine pas dessus : villes et palais ou paysages naturels, armées en marche ou foules chamarrées de courtisans et de danseuses, jardins, tours, prisons, combats à pied, à cheval, en char ou sur mer, duels héroïques et assassins infiltrés, tout y est. Décors, costumes et accessoires impressionnent par leur luxe de détails, qu’il s’agisse des motifs des vêtements, de la texture de cuir des rênes d’un cheval ou de la peau des acteurs et actrices principaux. Bref, il y a des images superbes et le film n’est pas avare en grand spectacle.

L’animation elle-même est plus inégale. Les ombres, les reflets et les effets de lumière sont correctement rendus et l’ensemble garde un niveau de qualité professionnel, mais certaines scènes sont moins réussies que d’autres. Les ombres, parfois, sont un peu rares, et certains plans font penser à des scènes cinématiques de jeux vidéo du début des années 2000. Ça ne pique pas les yeux et ça reste regardable, mais ça n’atteint pas le niveau des grosses productions des pays riches. Le « photoréalisme » revendiqué n’est donc pas toujours au rendez-vous, bien que les éléments les plus importants, notamment les corps et les visages des acteurs principaux, restent particulièrement soignés.

Rien de surprenant là-dedans : je ne vois pas comment cela aurait été possible étant données les contraintes de temps et de budget des animateurs du film. Mais encore une fois, on serait trop sévère de voir dans le film un nanar sur la base de cette simple différence de niveau. À mes yeux, on est plutôt dans la catégorie intermédiaire, celle des films qui maîtrisent déjà bien les techniques numériques mais qui n’ont simplement pas les moyens de mettre des centaines de millions de dollars, d’euros ou de yens dans leurs effets spéciaux. Cela n’a jamais empêché personne de faire de bonnes choses avec des ordinateurs (par exemple, voyez L’Ours montagne d’Esben Toft Jacobsen, film danois sorti en 2011, ou Sam et les monstres de feu de Kompin Kemgumnird, thaïlandais cette fois, sorti en 2012).

Le film trouve ses défauts les plus gênants dans certains détails plus particuliers. Si les scènes de chorégraphies ne sont pas si mal transposées en animation dans l’ensemble, les expressions des personnages et les mouvements des lèvres sont parfois ratés, notamment dans certaines des premières chansons. Dans la première chanson d’amour, surtout, la princesse avait un regard terriblement inexpressif et prenait une allure de Barbie en plastique dans certains plans (mais faut-il blâmer les compétences des animateurs ou le jeu de l’actrice ?). Cela m’a inquiété pour la suite, mais les choses s’amélioraient ensuite, avec des scènes parfois franchement réussies.

Deuxième défaut, qui m’a davantage gêné pendant le film : la vitesse des déplacements de la caméra et la brièveté des plans, notamment dans les scènes d’action. Le film contient de nombreux plans magnifiques, mais trop vite expédiés. Est-ce par peur que des plans plus longs laissent voir les défauts de l’animation (alors que les décors et les costumes peuvent sans problème supporter d’être admirés), ou bien une concession abusive à la mode actuelle des montages frénétiques ? Toujours est-il que certaines scènes m’ont paru y perdre, que ce soient des scènes de combat (le combat contre les hyènes, par exemple) ou des scènes de danse (la danse de Kochadaiiyaan, par ailleurs visuellement et musicalement très réussie).

Dernier défaut : la 3d relief, correcte, mais qui ne supporte pas toujours bien ce montage trop nerveux, d’où quelques effets de relief aberrants dans quelques plans. Cependant, cela ne m’a pas beaucoup gêné, même si je reverrais bien le film en 2d à l’occasion.

Le bilan technique de Kochadaiiyaan reste globalement bon : le travail accompli est impressionnant, les images du film sont belles et riches en détails, les progrès par rapport aux précédentes productions du même type sont indéniables. L’animation indienne s’approche à grande vitesse de la cour des grands. Il est d’autant plus frustrant de voir des plans à l’animation perfectible ou au rendu imparfait. En sortant de la séance, je rêvais à ce que le film pourrait donner dans une version non pas « director’s cut » mais, disons, une version peaufinée qui améliorerait la finition de l’ensemble pour le rendre vraiment magnifique.

Une bande originale réussie

J’ai mentionné plus haut les chansons. Un film de Bollywood ne serait rien sans sa musique. Celle de Kochadaiiyaan est composée par A. R. Rahman, un grand nom de la musique de films en Inde. Et le résultat est incontestablement une réussite. Les chansons sont tour à tour entraînantes ou paisibles, toujours émouvantes. Chose assez rare pour être saluée, les paroles des chansons étaient aussi sous-titrées, ce qui permet de profiter pleinement de la poésie propre aux chansons bollywoodiennes, remplies d’images et de métaphores colorées que personne n’oserait inclure dans un film sous nos latitudes. Oubliez les figures de style parfois pâles ou cliché des dessins animés Disney : les chansons bollywoodiennes sont beaucoup plus dépaysantes, et, quand elles sont réussies, elles forment des poèmes à part entière. Les parties instrumentales ne sont pas négligées et accompagnent efficacement l’action le reste du temps.

Si vous voulez quelques exemples de la bande originale, je vous recommande la chanson « Engae Pogudho Vaanam » qui accompagne la première apparition de Rana et de ses guerriers : épique et entraînante, elle donne le ton pour les aventures qui suivent (le refrain signifie en gros « Là où vole le vent, nous allons »). Vous pouvez l’écouter par exemple sur Youtube. Parmi les chansons sentimentales, voyez la belle « Idhayam » qui exprime les doutes de la princesse Vadhana (là encore, on la trouve sur Youtube). Vous remarquerez vite que le film a été produit en au moins trois langues, chose très courante en Inde où la diversité linguistique est une réalité banale : la version originale du film est en tamoul, mais la bande originale a également été éditée dans des versions en hindi et en télougou.

En somme…

En somme, si Kochadaiiyaan n’a pas encore réussi à éveiller l’intérêt des médias sous nos latitudes, et si ses prouesses d’animation n’atteignent pas encore tout à fait le niveau suffisant pour conquérir un public toujours sévère en cette période de surenchère technique débridée, il reste néanmoins un film très regardable et témoigne des progrès rapides de l’animation indienne en ce début de siècle. Je ne serais pas surpris que, dans quelques années, l’Inde se hisse sans grand effort au rang des grands studios américains, européens ou japonais, et que ses films bénéficient enfin de la large diffusion que mérite le savoir-faire et la créativité de leurs animateurs.

Le film n’aurait pas pu se faire sans la célébrité et les moyens dont jouit en Inde Rajnikanth, dit « superstar », l’acteur principal du film : espérons que Kochadaiiyaan, qui bénéficie de plusieurs sorties à l’étranger, trouvera son public et ne dissuadera pas les producteurs de retenter l’expérience. Pour la réalisatrice, Soundarya R. Ashwin, fille de Rajnikanth, dont c’est le premier film, le pari était dangereux, mais il est relevé avec un résultat honnête, hormis le montage parfois trop frénétique. De quoi suivre avec curiosité les prochains développements de l’animation indienne et les futures réalisations d’Ashwin.

Sur les mêmes sujets

Si vous cherchez un film d’animation du même genre qui soit complètement réussi, je ne peux que vous recommander Ramayana: The Legend of Prince Rama de Yugo Sako et Ram Mohan (1992) dont je parlais plus haut. C’est un dessin animé de bonne qualité, qui rend justice à la fois à l’épopée du Ramayana et aux arts visuels indiens, avec une animation très correcte. Ce petit bijou injustement méconnu n’est malheureusement pas édité en DVD sous nos latitudes : il faudra vous contenter de le regarder en ligne en attendant qu’il soit enfin édité comme il le mérite. Parmi les films plus récents que je n’ai pas encore vus, Arjun, the Warrior Prince (2012) semblait très prometteur, également en 2d, mais avec un style proche des Disney de la période Tarzan ou des premiers dessins animés Dreamworks en 2d (du type Le Prince d’Égypte, La Route d’Eldorado ou Spirit ).

Si vous voulez plus d’informations sur Bollywood et le cinéma indien en général, allez donc faire un tour sur le Bollyblog d’A2, qui est une mine d’informations. A2 est passionnée de cinéma indien, et c’est même elle qui m’a fait découvrir Kochadaiiyaan, ce dont je ne peux que la remercier ! Si vous n’y connaissez rien au cinéma indien, il vous suffira de commencer par la page qu’elle a prévue spécialement pour les néophytes.